Introduction :
– le « pourquoi » appartient à la science.
– le « comment » appartient à l’opérateur.
Allumer votre poste de télévision, vous avez une chance sur 2 ou 3 pour tomber sur une émission culinaire.
Qu’elles soient consacrées, à l’explication de recettes, à l’étude d’un produit, à la promotion de nouveau matériel, à des concours de cuisine, à des réflexions sur la diététique, sur le « bien manger » ou les mille et une façons de se faire arnaquer…les émissions « culinaures » ont tout envahi.
J’adore en particulier toutes les émissions dans lesquelles « on » vous explique, chronomètre en main, comment préparer un repas en moins de temps qu’il ne faut pour le dire ; tout cela pour vous expliquez que la cuisine « ce n’est pas sorcier ».
On se demande pourquoi il existe encore des cuisiniers.
Ne feraient-ils pas mieux de regarder la « télévision-qui-sait-tout », au lieu de passer leur vie devant des fourneaux pour préparer vos repas ?
Soyons sérieux, au moins un instant :
si la cuisine était si facile ça se saurait !
Vous ne croyez pas ?
J’adore encore plus les émissions du style concours où l’essentiel n’est pas de transmettre de quelconques connaissances, mais de battre le copain en revisitant de la façon la plus incongrue, des plats qui ont mis parfois des siècles à atteindre une certain degré de perfectionnement.
Regardez bien, surveiller tout particulièrement la taille de ce que l’on met dans vos assiettes.
La cuisine n’est plus faite pour calmer une quelconque faim, une envie de déguster. Non, la cuisine n’a plus les pieds sur terre.
Et la longueur du chèque que vous laisserez au restaurateur, est inversement proportionnelle à la taille de ce que vous trouvez dans l’assiette.
Et pourtant…
J’avais 35 ans, j’étais fonctionnaire bien établi de façon inamovible quand j’ai attrapé le virus.
Non, il n’y a pas de vaccin !
J’ai tout remis en cause : mon statut, ma sécurité de l’emploi, le poste dont j’étais titulaire pour changer de route et m’engager sur celle où j’allais suer devant les fourneaux et…. trouver mon bonheur.
Je vous le dis tout de go…
Je ne me permets pas de « revisiter » sans avoir « visiter » de manière approfondie une première fois l’original.
Tenez une comparaison :
J’ai fait quelque 20 ans de conservatoire et un jour, je suis tombé sur une « vedette ».
Il jouait du Bach à sa façon.
« Bach c’est comme ça que je le sens. » clamait-il.
– T’as tout à fait raison mon pote ! Joue pour toi, comme je chante pour moi dans ma salle de bain.
Le jour où tu me joueras un concerto ou une cantate à la façon du grand Sébastien, ce jour-là, tu auras le droit de l’interpréter à ta façon.
Mais seulement à partir de ce jour-là ! »
Il en va de même pour la cuisine.
Je veux bien qu’un gamin de 16 ans se lance dans la préparation d’un plat revisité à sa façon mais à condition qu’il me serve tout d’abord une blanquette ou un pot-au-feu de telle manière que le grand Escoffier ne se retourne pas dans sa tombe.
Alors oui ! Mais pas avant.
Le « pourquoi » appartient à la science.
Le « comment » appartient à l’opérateur.
Je vous l’ai dit en amuse bouche. Non ?
Explications :
Commençons par une petite blague.
C’est l’histoire de deux copains, d’un certain âge, ou d’un âge certain, assis là-bas sur un banc à chauffer leurs rhumatismes aux derniers rayons du soleil. Ils sont là à se plaindre à faire des « aïe », des « ouilles ».
Deux vieux que je vous dis !
Soudain, l’un se tourne vers son copain :
« dis-moi ; tu te souviens de la Germaine ?
Quelle santé ! Et hop, trois fois par jour. Elle n’avait peur de rien.
Au fait, tu cours toujours après les filles ? Moi, je dois dire, que de ce côté-là, ce n’est plus la joie."
Et l’autre de répondre :
"Ben si que je cours après les filles, mais ce fait longtemps que je ne sais plus pourquoi."
Le pourquoi et le comment !
Je vous avais prévenus.
Pour faire le parallèle et nous faire gagner du temps je dirais que j’ai souvent vu des gens qui courent après… après quoi d’ailleurs ?
Ils ont oublié le pourquoi alors qu’ils courent sur une jambe ou sur les deux ; qu’est ce que cela change ?
Les pires des réponses, celles qui me m’attristent le plus c’est quand on me dit :
– c’est le chef qui m’a dit de faire ainsi.
– ou alors : on a toujours fait ainsi.
C’est la preuve d’une très grande intelligence !
Excusez-moi, si je reviens une fois de plus sur ma propre expérience.
J’avais donc 35 ans. J’adorais faire la cuisine sans avoir jamais eu la chance de fréquenter la moindre école.
Alors comment faire ?
Et bien, j’ai profité de mon expérience de pédagogue pour l’appliquer à moi-même.
J’ai toujours constaté que lorsqu’un « apprenant » cale devant un problème, c’est moins à cause du « comment faire » mais du « pourquoi faire ».
Alors quand on prend le temps d’expliquer le but, le pourquoi… on constate que la situation se débloque rapidement et que l’on trouve brusquement comme naturels des gestes que l’on ne comprenait pas.
La technologie est à la base de tout.
Mais il convient de bien définir ce terme.
Par technologie, on entend l’acquisition de toute une série de raisons, de gestes, de pratiques qui sont le fruit des expériences de tous ceux qui nous ont précédés.
La technologie est en quelque sorte un rattachement à des connaissances qui permet de faire un grand pas vers « LA CONNAISSANCE ».
Et je suis loin, croyez-moi sur parole, de me faire plaisir en jouant avec des mots.
Connaissances (au pluriel) et Connaissance (au singulier mais avec un C majuscule.)
Partons une fois de plus, d’un exemple vécu.
Quand j’étais gosse, le chemin de l’école me faisait passer régulièrement devant une boulangerie. L’odeur du pain frais venait chatouiller agréablement mes narines.
Bien des années plus part, quand j’ai été atteint par le « virus », je suis allé voir mon boulanger. La boulangerie était fermée, faute de repreneur, et le boulanger était en retraite.
Quand je lui ai parlé de la fabrication du pain, j’ai aperçu une lueur dans ses yeux.
Alors, il se mit à parler, un flot de paroles d’autant plus rapide que cela devait faire des années qu’elles attendaient pour sortir en plein jour.
Je me réjouissais de pouvoir échanger enfin, de pouvoir l’interroger.
Je fus profondément déçu et je vais vous dire pourquoi.
« Raconte-moi, comment tu préparais ton pain.
– je prenais un sac de farine, je prenais également un seau d’eau, un gros cube de levure de boulanger, et une poignée de sel…
Je mettais le tout dans le pétrin.
Je mettais la minuterie en marche… »
Il est vrai, que Paul, le boulanger a toujours fait du bon pain.
Mais n’essayez pas du faire du pain en suivant « sa recette ».
Pourtant cette recette-là, lui a permis de vivre et de faire vivre sa famille.
Je suis rentré chez moi, avec le cœur plein de tristesse. Paul, mon ami boulanger possédait les connaissances indispensables de son métier, les coups de main aussi, mais il n’avait pas atteint la Connaissance de son art.
Quelques mois plus tard, la recherche non pas de la recette du pain, non, mais la recherche de la connaissance de la fabrication du pain connu un dénouement particulier.
Un jour, alors que je feuilletais des livres dans une librairie, je suis tombé sur un tout petit livre. On serait presque tenté de dire : un petit livre de rien du tout, ou un petit livre qui ne payait pas de mine.
Et pourtant ce fut une véritable révélation.
En quelques pages, l’auteur m’ouvrit le chemin vers la Connaissance de la fabrication du pain.
Il ne parlait pas d’un sac de farine et d’un seau d’eau, mais d’une quantité de farine pesée en kilogrammes.
Il parlait d’une farine hydratée à 60 %.
Il parlait également de 40 g de levure de boulanger par kilogramme de farine. La poignée de sel de mon ami boulanger se transforma en une donnée bien plus précise : 20 g de sel pour 1 kilogramme de farine.
Mais « Le » grand secret se cachait autre part encore.
Le petit livret parlait d’un paramètre dont j’ignorais l’existence : la base de température.
Explication rapide :
La pâte à pain est composée de farine, d’eau, de levure et de sel. Je parle bien sûr de la pâte à pain sans additifs.
Cette pâte est de la vie en latence. Pris isolément chaque composant est inerte, mais une fois réunis, les différents composant se mettent à (re)vivre. Le principal acteur de cette renaissance est la température.
Trop froide, la pâte ne commencera pas son développement.
On parlait dans le temps de fournées maudites, de fournées auxquelles on avait jeté un mauvais sort.
Trop chaude, la fournée se met à se développer, anarchiquement, et l’on parlait de fournées ensorcelées.
Et puis un jour, un boulanger a eu une intuition. Il mesura la température de l’eau, il introduit la science et il découvrit la fameuse règle de la base de température
Que dit cette règle ?
La température de la farine
+ la température du local dans lequel on fait fermenter la pâté
+ la température de l’eau doivent,
quand on les additionne, donnent un total qui varie selon la sorte de pain.
Pour le pain blanc la base de température est de 55° C.
Exemple :
Température de la farine 20°C
Température du local 25°C
Température de l’eau…. ?
Calculons :
20°C +25°C = 45°C
45°C + x ( température de l’eau) = 55°C
x = 10°C
Et c’est ainsi que selon les saisons les boulangers ajoutent parfois de l’eau chaude, de l’eau tiède, de l’eau froide, voire carrément des glaçons
La science a expliqué le pourquoi.
Conclusions :
Chaque métier possède un ensemble de techniques, de coups de moins que l’on désigne par technologie.
La technologie est une sorte de crible qui ne retient que l’essentiel.
Le superflu, l’inutile, passent par le tamis.
Etudier la technologie c’est essayer de comprendre le pourquoi.
Et c’est à partir de la connaissance des « pourquoi » que chaque opérateur essayera de répondre avec ses moyens, ses possibilités.
Il trouvera ses « comment ».
Celui qui sait, celui qui transmet, ne sera un véritable maître qu’à condition d’éveiller la curiosité de son élève, qu’à condition de le guider sur le chemin qui le conduira à découvrir par lui-même le pourquoi.
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