Introduction à la gastronomie alsacienne

Introduction à la gastronomie alsacienne.

 

Quand je me suis installé dans le Nord, les copains se sont écriés:
« chic alors ! On va bien manger !
Prépare-nous un bon repas avec des plats de fête typiquement alsaciens. »

Dit de cette façon, il n’y a pas de problème. Du moins, en apparence, car quand je me suis mis à réfléchir aux plats de fête alsaciens, je n’en ai pratiquement pas trouvé.
Il y a bien le cochon de lait farci : mais est-il typiquement  alsacien ?

Pour le reste des plats, il faut bien constater  qu’ils ne sont pas typiquement de fête, pour la simple raison qu’en Alsace,                      on mange bien tous les jours.

Voilà, pour vous introduire à la gastronomie alsacienne, je vous propose de lire  quelques extraits de mon livre
«  les histoires de mon patelin » – Editions St Brice 68 Illfurt.

 

Bon appétit.
« E Güeter »

 

«  Im Elsàss isst me güet .

– En Alsace, on mange bien.

– Tu ne devrais pas dire cela Güschti !

-Wurum ?  
– Pourquoi , C’est pas vrai ?
– Si si, mais tu fais un pléonasme. »

 

Güschti prend son air soupçonneux.

«  Wàs isch dàs e pléonasme ?  E neie  Krànket ? 

– Qu’est ce que c’est un pléonasme ? Une nouvelle maladie ?

– C’est quand on dit quelque chose que tout le monde sait, quelque chose d’évident.

– Alors je veux bien faire un pléonasme, car on mange bien chez nous ! »

 

D’ailleurs nous allons nous arrêter un instant, car je voudrais vous faire remarquer au passage, la pauvreté du vocabulaire  de la langue française comparée à la richesse du dialecte.

On dit  «  En Alsace, on mange bien »

Passons sur l’évidence. Mais le mot « bien » est imprécis.

Manger « bien » ce n’est pas suffisant.

En Alsace on dit :

« Im Elsàss isst me güet “ et aussi “ Im Elsàss isst me vil. »

– en Alsace on mange bien, –  en Alsace on mange beaucoup.

«  Dàs will ich hoffa »

– Je l’espère bien !

«  Güet un vil dàs pàsst zamma. »

– Bon et beaucoup, ça va de pair.

 

Faut vous dire que « s’Assa » – la bouffe, comme diraient les jeunes, – occupe une place de choix dans le cœur des Alsaciens et de Schàngi et Güschti en particulier.

 

«  Wàs hàsch noch im Lawa üs’rem Assa ? »

– Qu’est ce qu’il te reste dans la vie à part la bouffe ?

 

De  mémoire d’alsacien,  on a toujours eu un bon coup de fourchette dans notre pays. Il ne fallait pas en promettre, et je ne me souviens pas d’une quelconque désertion devant un plat de choucroute bien garnie.

 

D’ailleurs, dans le domaine de la gastronomie, l’Alsace est presque sinistrée.

“ Wieso ?

– Comment cela ?

– Tu n’as qu’à parler avec un Français. Pour eux, l’Alsace est le pays de la choucroute. Un point c’est tout. Tu trouves ça normal ?

– Mais la choucroute c’est bon !

– Je ne dis pas ça, mais dire qu’en Alsace,  il n’y a que la choucroute, c’est pas juste.

– «  Dàs stimmt. »

–  Ça c’est vrai.

–  C’est  faire un affront que de l’ignorer

“ S’Kinkele mit salbschtgmàchta Nüdla

–  Le lapin avec les nouilles maisons

– “ Un d’Fleischschnacka !

–  Et les escargots de viande

 “D ’Lawerknepfla

–  Les quenelles de foie

–  ”Un d’süra Riawa

–  Et les navets confits…

 

Il vaut mieux arrêter, car l’eau me monte à la bouche. Réduire la gastronomie alsacienne à la seule choucroute, c’est se priver de pas mal de petits plats succulents. Enfin quand je dis – petits – il ne faut pas le prendre au pied de la lettre. Quand ils sont copieux, cela ne gâche rien.

Mais il est vrai que dès qu’on parle de mon pays, on sent monter comme une odeur de choucroute. Et pas n’importe quelle choucroute, la choucroute des touristes, avec un soupçon de chou caché sous une montagne de lard, saucisses, et j’en passe.

Croyez-moi, ce n’est pas ça, la choucroute de mon enfance. Nous étions  ni riches, ni fous pour manger en une fois la totalité des provisions de charcuteries.

La choucroute de ma mère est beaucoup plus simple, avec un bout de lard fumé, des Montbéliards et des saucisses de Strasbourg, – d’Wienerla , sans oublier les pommes de terre à peler soi-même.

Ce sont les restaurateurs qui ont  habillé la choucroute de tout son attirail. Ils organisent, en automne, des “Schlàchtassa“- des banquets intitulés : “on tue le cochon.”.

On pose alors sur la table des plats tellement grands et surchargés que le sourire du client cache difficilement son angoisse.

Allons-nous tout pouvoir manger ? Si déjà on paie tout.

 

Il y a ceux qui emportent  un sachet  nylon et dont le seul problème réside à le remplir en cachette pour ne pas faire pauvres.

Il y a les autres qui ont également un sachet et qui le remplissent ostensiblement en déclarant bien fort que « c’est pour le chien. »

Tu parles !

J’ai connu un restaurateur un peu plus futé. Pour régler le problème de

ses clients, il passait  en personne, à la fin du repas, avec tout un rouleau de  sachets

« Ihr han’s bezàhlt, àlso mien i nit scheniara. »

– Vous avez payé, alors il ne faut pas vous gêner.

Et les clients, soulagés, retrouvaient leur sourire et leur appétit.

 

Avant l’invention du cholestérol, personne ne faisait de chichi.

D’ailleurs personne n’était malade.

«  D’r Cholestérol isch e Erfindung vu de Dokter. »

– le cholestérol est une invention des médecins

– «  E püra Galdmàcherreï ! »

– Une pure question de gros sous.

 

Nos deux compères sont d’accords et concluent philosophiquement par cette expression typique, simple, courte mais tellement sensée et je dirais presque poétique

«Ja Ja ! »(prononcez Ya Ya)

Complètement intraduisible.

Car c’est avant tout une question d’accent, une question de modulation.

L’expression est tellement importante que je dois vous l’expliquer.

 

«  Es wird wider ragna “

– il va de nouveau pleuvoir

Ja Ja!

 

Prononcez d’une voix que nous qualifierons de normale.

Le Ja exprime une acceptation avec quand même une pointe de regret.

 

«  d’Schtîra sin wider uffa »

– les impôts ont encore augmenté

Ja Ja!

 

Dans ce cas, la prononciation sera un peu plus rapide

Ja Ja! signifie la résignation, voire l’indignation, une limite qu’il vaut mieux ne pas franchir.

 

«  S’ Lawa isch z’ kurz

– La vie est trop courte

– Ja Ja!

Prononcez avec lenteur, avec beaucoup d’air, en expirant profondément.

Ja Ja! met l’accent sur la tristesse, souligne l’inéluctable.

C’est le  “ Inch Allah “ du coin.

“ M’r kennta e Bier trinka “

– on pourrait boire une bière

– Ja Ja!

C’est le oui franc et massif, le cri du cœur et de la gorge desséchée.

A peine prononcé, le Ja Ja! vous transporte à l’Auberge du Cheval Blanc.

 

Il existe encore bien d’autres façons de prononcer le Ja Ja!

Un dictionnaire ne suffirait pas.

 

Sachez que les Alsaciens ont réussi le tour de force unique de concentrer dans un mot répété deux fois, toute la palette de leurs sentiments.

 

Quand vous réussirez à dire Ja Ja!, vous serez devenus un peu Alsaciens.

Ce jour-là, je vous inviterai, et qui sait, je vous préparerai peut-être une bonne choucroute !

 

 

Voilà, ma petite histoire est terminée.

Ce n’est bien sûr que de la théorie. Il faut garder les pieds sur terre et passer aux exercices pratiques.

Je vous souhaite autant de plaisir que j’ai éprouvé moi-même à partager mes connaissances.
Si vous rencontrez un souci, n’hésitez pas.
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