La vengeance des fraises des bois 

« s’Üscheni » : oui c’est de cette façon que l’on dit Eugénie dans notre dialecte alsacien, était née dans le village. Ses parents étaient agriculteurs depuis des générations. On pourrait dire, si l’on était méchant, qu’Üscheni avait grandi dans l’odeur suave des vaches des cochons.

Dans une ferme, chacun a son travail attitré, ou, pour être plus précis encore, chacun se devait d’être multitâche, capable de remplacer au pied levé un membre de la famille qui n’avait pas réussi à digérer une choucroute par trop volumineuse.

« s’Üscheni » avait donc passé une enfance : comment dire, mi-figue, mi-raisin, sauf que, chez nous en Alsace, vous aurez du mal à trouver des figues et que, pour avoir des raisins, il vous faudra faire pas mal de kilomètres, pour aller dans le vignoble.

Alors « s’Üscheni »  s’est résignée. Elle compensait, en rêvant, ce qui eut comme conséquences logiques que , dans son dos, les gens disaient qu’Üscheni » était une jeune femme qui « pétait plus haut que son Q. »

Avec les années, les choses s’aggravèrent encore, surtout à partir du moment où « Üscheni » se mit à dédaigner les garçons de village et à prétendre à qui voulait l’entendre, que seul un homme de la vile serait à la rigueur, capable de la rendre heureuse.

C’était faire un véritable affront aux jeunes gens du village et je peux vous l’avouer en toute sincérité, qu’aucun ne versa une larme quand « Üscheni » annonça en grande pompe son mariage avec gars de la ville.

Je dirais presque quand guise de cadeau, les garçons du village se contentèrent de souhaiter bien du plaisir à l’heureux élu.

Est-il bien besoin de vous dire que le mariage fut célébré à la ville, ce qui fit deux jaloux de plus : le curé et l’orgue qui s’époumonait depuis des années à jouer la fameuse marche de Mendelssohn que tout le monde connait. Non pas Mendelssohn, mais la marche, bien sûr. Allez voyons !

Est-il bien besoin de vous dire que l’on pouvait compter sur les doigts des mains de ceux qui ne pouvaient trouver une excuse valable, le nombre de villageois qui firent le déplacement.

Un mariage en comité restreint en quelque sorte.

Ainsi va la vie ! Mais il existe un dicton alsacien qui dit la même chose, mais en mieux.

Oui, je suis chauvin et alors ! Je commence même à être « chauviniste » avec tous les cheveux que je perds depuis un certain temps.

Alors, ce dicton !

«On dort de la façon dont on fait son lit.»

Le temps a un bon boulot.
Il passe, il passe…
Un boulot qui ne fatigue pas trop.

Mais, il livre une ride par ici, quelques regrets par là.
Il emporte, dans sa course, une petite grand-mère qui a oublié un jour de se réveiller.
Il prend tellement plaisir à livrer des rhumatismes qu’on dirait, qu’il les a achetés au prix de gros.
L’autre jour, pendant l’orage, il a déraciné le vieux chêne que l’on croyait plus solide que cela.

Le temps vous guette, il vous prend par surprise. Une noix et hop ! une dent, en moins, c’est ce qui explique le sourire un peu tordu des vieux qui discutent là-bas, sur le banc, à côté de la fontaine.

D’ailleurs, il se dit des choses sérieuses sur ce banc.
L’autre jour, j’ai dressé une oreille indiscrète.
Ils étaient trois, en grande discussion.

Il y avait le Seppi (Joseph), d’r Changi (le Jean) et d’r Maurice : vous voyez, vous parlez alsacien !

Seppi interrogeait d’r Maurice :

– dis-moi, Maurice, est-ce que tu cours toujours après les filles ?
– bien sûr que oui, mais…
– mais quoi ?
– je ne me souviens plus pourquoi.

Et il s’éleva un grand éclat de rire qui fit s’enfuir les pigeons qui buvaient l’apéro dans la fontaine.

Ainsi va la vie !
La vie est certainement la plus belle chose.
Dommage qu’elle finisse toujours mal.

Philosophie des simples, philosophie de ceux qui ont trimé toute leur vie.
Philosophie de ceux qui ont dû passer la main et qui vivent maintenant de souvenirs, parfois de regrets.

Je plains les gens sans souvenirs.

Peuvent-ils dire qu’ils ont vécu ?

Les souvenirs sont comme le temps. Ils vous guettent et vous prennent en traître.
Il existe des gens savants qui appellent cela : nostalgie. Moi, je suis un homme simple, je dis que c’est le « Heimweh » : le mal du pays.

Le Heimweh est une maladie terrible. J’en ai souffert pendant mes années d’exil dans le ch’Nord.

Ce n’est pas que les gens soin et méchants. Ah que non. Ils sont tout étonnés que des gens soient tellement fous pour venir de plein gré, vivre dans cette région ; alors, ils font tout pour vous accueillir gentiment.

Les gens du Nord…. La chanson est bien vraie. C’est un gamin de l’autre côté de la Méditerranée qui l’a composée. Les gens du Nord vous offrent le soleil de leur cœur. Ils vous inviteront peut-être à partager la vie de leur coron, comme le dit l’autre chanson.

S’Heimweh : le mal du pays, parlons-en.

La maladie n’a pas épargné « Üscheni » .
Elle se croyait à l’abri, dans sa vie pépère à la ville.
Son petit bonhomme de mari était gentil. Oh, il ne gagnait pas des mille et des cent, mais le salaire avait suffi pour acheter une voiture.

N’allez pas chercher midi à quatorze heures ! Non, pas une bagnole de luxe. Une voiture pratique, avec un hayon pour aller faire les courses au marché, une promenade pique-nique, le dimanche.
Mais, le plus important était la promenade de temps en temps, au village. La promenade avait un but précis : montrer que l’on avait réussi.
Elle avait aussi un but secondaire, désavoué : allez chercher quelques légumes, des œufs et des lapins.

On a beau dire : les œufs des poules élevées en plein air ont quand même meilleur goût. Les lapins nourris à l’herbe ont meilleur goût que les lapins chinois, et les légumes désherbés à la main, ne sentent pas le C3 H12 NA 47X 75 des produits chimiques.

« s’Üscheni »  avait gardé la nostalgie des carottes de plein champ, du poireau barreau de chaise, et des betteraves qui saignent de plaisir.

Mais « s’Üscheni » organisait ses promenades stratégiquement.
Elle ne se déplaçait que mue par des arrière-pensées ( cela fait économiser de l’essence)

Elle venait donc à l’époque des cerises, des pommes, des poires et surtout à la période où l’on tuait le cochon.

Mais voilà, vous allez rester sur votre faim, car je vais vous raconter une autre histoire.

Mon histoire se passe au printemps. Les petits cochons étaient encore appelés cochons de lait. Pas d’espoir de ce côté-là.
Nous sommes au mois de juin : un mois de juin précoce, et là-bas, à la lisière de la forêt, les « Waeldarberla » les fraises des bois rougissaient de plaisir : un vrai concours de beauté !

« s’Üscheni »  connaissait cet endroit. Faut vous dire que les bons endroits, on ne les dévoile pas. Cela est vrai pour les fraises des bois, les framboises, les myrtilles, et encore plus, pour les champignons.
Tenez-le pour dit !

« s’Üscheni »  et sa famille avaient donc ramassé un seau de fraises. Pas un petit seau, non ! pas une « seauquette », un seau, comme en utilisent les pompiers.

Et comme « Üscheni » ne pouvait se taire, elle l’avait montré aux villageois.

– donne-moi en quelques-unes,
– vous n’avez qu’à en ramasser vous-mêmes !

Rentrée chez elle, en ville, « S’Üscheni »  servit :

– un pudding vanille avec fraises de bois.
– une charlotte aux biscuits cuiller avec fraises des bois
– une salade de fruits avec fraises des bois.

Mais…

Le seau ne voulait pas se vider tellement qu’il y avait des fraises.

Alors « Üscheni » téléphona au village :

« - Que faire avec toutes les fraises ?
– Tu n’avais qu’à nous en donner.
– Tu rigoles. Nous avons fait des kilomètres.
– Alors, tu n’as qu’à faire des confitures, comme tout le monde !

C’est maintenant qu’il faut faire attention.
C’est maintenant, la cerise sur le gâteau ! ( enfin si l’on peut dire)

« s’Üscheni »  alla donc acheter du sucre spécial confiture.
Et elle cuit ses fraises, ajoutant même un peu de vanille : un luxe.

Elle lava les verres et les remplit. Puis, elle les retourna pour faire le vide, comme faisait sa grand-mère.

Quelques jours plus tard, la famille se réunit pour goûter le confiture.
Ce fut la GRANDE DÉCEPTION.

La confiture était amère, comme la bile.
Car les fraises des bois ne supportent pas la cuisson.

Je ne sais si les villageois apprirent la nouvelle, mais je ne doute pas qu’elle leur aurait fait grand plaisir. La vengeance des fraises.

Et sur leur banc, Seppi, d’r Changi et Maurice auraient eu un sujet de conversation qui les aurait fait rigoler comme des gamins pendant des semaines, car ils oubliaient régulièrement les histoires qu’ils racontaient.

 

Les illustrations photographiques sont soumises à © Jean-Paul Brobeck, alias Papy Jipé.

 

Retour page accueil du site et du moteur de recherche : ICI

Retrouvez Papy
Website  1
http://www.unmiroirpour3visages.com

Website 2
http://trucapapy.com

Audiovisuels :
https://www.youtube.com/channel/UC5Ntaw4v4nqPPbefbLKLuqA

https://studio.youtube.com/channel/UCe13PLpL_6ctK9umvLAUleA/videos

Papy à la TV :

https://www.dailymotion.com/video/x1jt46m

Facebook :
https://www.facebook.com/people/Jean-Paul-Brobeck/100077446132442/

Instragram
https://www.instagram.com

 

 

YouTube
https://www.youtube.com/channel/UC5Ntaw4v4nqPPbefbLKLuqA

 

Livres :
https://trucapapy.com/papy-jipe-publie-des-livres/

https://trucapapy.com/les-histoires-de-mon-patelin
https://trucapapy.com/papy-publie-son-14-livre/
https://trucapapy.com/papy-publie-ses-15-et-16-livres/


Audiovisuels :

https://www.youtube.com/channel/UC5Ntaw4v4nqPPbefbLKLuqA

https://studio.youtube.com/channel/UCe13PLpL_6ctK9umvLAUleA/videos

Papy à la TV :

https://www.dailymotion.com/video/x1jt46m

Fédération Photographique de France
https://federation-photo.fr/2024/01/14/jean-paul-brobeck/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Views: 142

2 réflexions sur « La vengeance des fraises des bois  »

  1. Bonjour Monsieur !
    Merci, Monsieur, pour vos récits si…plein de vie!

    Je viens de découvrir que la fraise des bois devient amère à la cuisson. Est-ce vrai ?

    Merci encore Monsieur !
    Je vous souhaite une très bonne journée

Les commentaires sont fermés.