Quand on s’intéresse aux origines de la cuisine, il faut bien admettre que ce sont les femmes qui ont toujours été chargées de la préparation des repas.
Les hommes partaient à la chasse, car il faut davantage de force musculaire.
Les femmes participaient aux cueillettes et récoltes.
Faisons un bond de plusieurs siècles dans l’histoire.
Les années sont passées. Les sociétés se sont structurées.
Nous pouvons distinguer trois groupes :
– les nobles,
– le clergé,
– et le tout-venant appelé tiers état.
Jetons un coup d’œil dans les familles nobles.
Propriétaires terriens souvent militaires, ils engagent un certain nombre de domestiques qui travaillent pour eux : régisseurs, valets, bonnes, lingères…
Dans les cuisines, c’est une femme « une cuisinière » qui assure non seulement les repas quotidiens, mais également les repas de fêtes.
Continuons à tourner les pages de notre album d’histoire.
Nous voici arrivés dans une période dans laquelle la noblesse commence à connaître des difficultés. Elle commence à être supplantée par la bourgeoisie, c’est-à-dire ceux qui s’enrichissent par leur travail.
Et cette bourgeoise d’abord économe aspire également à mener un grand train de vie. Elle veut donner des fêtes, et organiser des repas.
Le rêve de tout père bourgeois est que sa fille épouse le fils d’un noble, afin d’acquérir un titre.
Le rêve des mères de la noblesse est de voir leur fils épouser la fille d’un bourgeois suffisamment riche pour renflouer les caisses.
On assiste donc en quelque sorte à une rivalité de classes qui cherchent à dominer, à coup de fêtes, de repas, etc…
Et voilà que les cuisinières sont de plus en plus remplacées par des cuisiniers !
POURQUOI ?
Je ne prétends pas posséder d’autre vérité que celle issue de mon expérience de professeur de cuisine et ne veux surtout pas empiéter sur le terrain des historiens.
Mais, j’ai toujours remarqué que mes élèves filles reproduisaient scrupuleusement les recettes, alors que mes élèves garçons, aimaient prendre des libertés et essayaient souvent de faire des variantes.
Cela explique peut-être, que les bourgeois qui veulent rivaliser et surtout triompher de la noblesse, ont plus tendance à engager des cuisiniers qui sont davantage à la recherche de nouveautés, de plats plus spectaculaires, que des cuisinières soucieuses d’économies.
Quand on veut faire montre de sa richesse, on ne fait pas d’économies.
C’est peut-être aussi l’une des raisons qui explique que l’art culinaire est souvent qualifié de misogyne. Il est vrai que même à l’heure actuelle, vous trouverez encore davantage de chefs que de cheffes !
Il convient également de noter que le métier de cuisinier était difficile et que c’est l’évolution du matériel et des techniques qui ont facilité l’entrée des femmes en cuisine.
Et, il me semble que malgré tout, actuellement, dans la plupart des familles, la cuisine reste avant tout le rôle des femmes.
Autre approche :
L’histoire de l’humanité peut également être étudiée de guerres en guerre.
Les guerres qui glorifient l’intelligence humaine (!) ont toujours propulsé les hommes sur les champs de bataille et obligé les femmes à remplacer les absents.
Les femmes ont montré qu’elles sont capables de tenir leur place. Cette main-d’œuvre toute trouvée, moins chère, n’a pas échappé au patronat.
On a même défini une politique qui encourage hommes et femmes d’un même couple, à travailler ; mais au profit de qui ?
Ceci a profondément bouleversé la vie des familles, et entrainé malheureusement un certain nombre de conséquences néfastes dont nous subissons les conséquences :
– deux fois plus de main-d’œuvre, c’est également deux fois moins de travail.
– les parents qui travaillent tous les deux ont forcément moins de temps à consacrer à l’éducation des enfants.
– une femme qui travaille est obligée de commencer une seconde journée de labeur, quand elle rentre chez elle.
– elle est obligée de gérer au mieux son temps et de réduire le temps qu’elle peut consacrer à la cuisine.
– une fille ne voyant plus sa mère travailler en cuisine, n’hérite plus des coups de main et des recettes qui font la richesse de la cuisine populaire familiale.
Il y a donc perte de patrimoine, par non-transmission.
D’un autre côté :
– on a de plus en plus recours aux plats tout préparés, ce qui fait le bonheur de l’industrie agroalimentaire.
– ceci explique le succès de l’industrie des surgelés.
– les cantines et les fast-foods se multiplient.
– et les gens mangent de moins en moins sainement.
– les anciennes recettes font place à une alimentation de plus en plus standardisée : il n’y a qu’à voir le succès du steak-frites-salade.
J’ai coutume de dire en boutade :
Que nous vivons une époque où les gens risqueraient de mourir de faim à côté d’un sac de blé, faute de savoir l’utiliser.
Voilà pourquoi, je milite pour une transmission des connaissances.
Voilà pourquoi, je consacre des centaines d’heures à mon site.
Les choses se compliquent encore quand on tient compte d’autres données :
– l’augmentation de la population mondiale qui exige de plus en plus de rendements,
– l’obligation d’utiliser de plus en plus d’engrais et de produits phytosanitaires.
– les modifications du climat et leurs répercussions sur les productions agricoles.
Les données sociétales
Il est également vrai que les repas sont de moments privilégiés qui rassemblent les familles qui sont les réelles cellules de bases de nos sociétés.
– préparer un repas, ne consiste donc pas seulement à nourrir, mais à former une unité familiale, un lieu de rencontre, un lieu d’échanges d’idées.
Cette disparition des cellules de base se traduit par la perte d’un certain nombre de repères, religieux, philosophiques, de simple bon sens, sans oublier le respect des ainés.
– on constate de plus en plus la perte de confiance dans les institutions.
– une miss en cause de l’autorité d’abord parentale, puis des institutions sociétales.
– les individualités prennent le pas sur la vie en société.
– le désintéressement de la vie collective se mesure à la baisse du nombre de votants lors des élections.
Détails significatifs :
Faites le compte des émissions de télévision basées sur la compétition entre les concurrents. On ne vient pour participer, mais pour battre, afin d’être :
– le meilleur cuisinier,
– le meilleur pâtissier,
– le top-chef,
– voire le meilleur forgeron.
Il est loin le temps de « la tête et des jambes » qui glorifiait la complémentarité de deux individus et le travail en équipe.
Nous sommes entrés dans l’époque, du chacun pour soi.
Et cela peut faire regretter :
– les grands repas de famille qui réunissaient la tribu,
– les anniversaires que l’on fête de plus en plus chez soi, mais en dehors du foyer
– les fêtes de Noël où chacun participait selon ses connaissances et ses moyens.
Ceci explique peut-être le mal être de nos sociétés qui ont érigés en dieux :
– la renommée
– et l’argent.
Il me semble important de partager ces réflexions pour bien souligner l’interdépendance de toutes les choses.
Le repas familial, qui a vocation de réunir les membres de la famille, peut également, s’il est mal organisé, devenir un facteur de division.
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