BON APPETIT – a guäter

Introduction :

Je viens vous offrir un texte tiré de mon livre " les Histoires de mon patelin"  Edition Saint Brice. cliquez ICI
Ce livre est né pendant mes presque 30 ans d'exil, loin de ma terre natale, quand j'enseignais dans le Nord de la France.
Je sais, le Nord ce n'est pas loin. Tout juste un peu plus de 600 km si vous passez par le Luxembourg et la Belgique. Trois fois rien diraient certains !

Et pourtant, croyez moi, cela suffit amplement pour vous mettre le bourdon.
C'est le mal du pays qui a dirigé mes doigts sur le clavier de mon ordinateur, mon cœur aussi et il avait soif.
Quand je suis parti en retraite malgré moi, victime d'un handicap, la première de mes décisions a été de retourner au pays.
Maintenant, il suffit que je regarde par une fenêtre pour voir ma ville, Mulhouse, à mes pieds, et là-bas, à l'horizon, les Vosges.
A dire vrai, j'y allais plus souvent quand j'habitais les bords de la Manche.
Mais elles sont là, à portée de main, à portée de cœur ; et c'est ce qui compte.

Voilà, comme dit, je viens vous offrir une histoire.
Il y en a presque 50 qui vous attendent

Elles sont toutes vraies à peu de choses près…
Vous savez, on n'est jamais vraiment maître de ses rêves.

Bonne lecture

PS : Tous les mots en dialecte sont immédiatement traduits.
Güsti et Chàngi : Gustave et Jean, sont deux vieux garnements, les héros de cette promenade dans l'Alsace d'autrefois.

 

 

 

«  Im Elsass esst ma güat

– En Alsace, on mange bien.

– Tu ne devrais pas dire cela Güschti !

– Wurum ? 

– Pourquoi , C’est pas vrai ?

– Si si, mais tu fais un pléonasme. »

 

Güschti prend son air soupçonneux.

«  Wàss esch dàss a pléonasme ?  A neï  Krànket ? 

– Qu’est ce que c’est un pléonasme ? Une nouvelle maladie ?

– C’est quand on dit quelque chose que tout le monde sait, quelque chose d’évident.

– Alors je veux bien faire un pléonasme, car on mange bien chez nous ! »

 

D’ailleurs nous allons nous arrêter un instant, car je voudrais vous faire remarquer au passage, la pauvreté du vocabulaire  de la langue française comparée à la richesse du dialecte.

On dit  «  En Alsace, on mange bien »

Passons sur l’évidence. Mais le mot « bien » est imprécis.

Manger « bien » ce n’est pas suffisant.

En Alsace on dit :

« Im Elsàss esst ma güat “ et aussi “ Im Elsàss esst ma viel»

– en Alsace on mange bien, –  en Alsace on mange beaucoup.

«  Dàss well ech hoffa »

– Je l’espère bien !

«  Güet und viel dàss bàsst zusàmma. »

– Bon et beaucoup, ça va de pair.

 

Faut vous dire que « s’Sassa » – la bouffe, comme diraient les jeunes, – occupe une place de choix dans le coeur des Alsaciens et de Chàngi et Güschti en particulier.

 

«  Wàss hàsch noch em Lava us’rem Assa ? »

– Qu’est ce qu’il te reste dans la vie à part la bouffe ?

 

De  mémoire d’alsacien,  on a toujours eu un bon coup de fourchette dans notre pays. Il ne fallait pas en promettre, et je ne me souviens pas d’une quelconque désertion devant un plat de choucroute bien garnie.

 

D’ailleurs, dans le domaine de la gastronomie, l’Alsace est presque sinistrée.

“ Wie so ?

– Comment cela ?

– Tu n’as qu’à parler avec un Français. Pour eux, l’Alsace est le pays de la choucroute. Un point c’est tout. Tu trouves ça normal ?

– Mais la choucroute c’est bon !

– Je ne dis pas ça, mais dire qu’en Alsace  il n’y a que la choucroute, c’est pas juste.

– «  Dàss stemmt. »

–  Ca c’est vrai.

–  C’est  faire un affront que d’ignorer

“ S’Kengala mit salbschtgmàchti Nüdla

–  Le lapin avec les nouilles maison

– “ Und Fleischschnacka !

–  Et les escargots de viande

 “D ’Lavergnepfla

–  Les quenelles de foie

–  ”Und süra Riawa

–  Et les navets confits…

 

Il vaut mieux arrêter, car l’eau me monte à la bouche. Réduire la gastronomie alsacienne à la seule choucroute, c’est se priver de pas mal de petits plats succulents. Enfin quand je dis – petits – il ne faut pas le prendre au pied de la lettre. Quand ils sont copieux, cela ne gâche rien.

Mais il est vrai que dès qu’on parle de mon pays, on sent monter comme une odeur de choucroute. Et pas n’importe quelle choucroute, la choucroute des touristes, avec un soupçon de chou caché sous une montagne de lard, saucisses, et j’en passe.

Croyez-moi, ce n’est pas ça, la choucroute de mon enfance. Nous étions  ni riches, ni fous pour manger en une fois la totalité des provisions de charcuteries.

La choucroute de ma mère est beaucoup plus simple, avec un bout de lard fumé, des Montbéliards et des saucisses de Strasbourg, – d’Wienerla , sans oublier les pommes de terre à peler soi-même.

Ce sont les restaurateurs qui ont  habillé la choucroute de tout son attirail. Ils organisent, en automne, des “Schlàchtassa“- des banquets intitulés : “on tue le cochon.”.

On pose alors sur la table des plats tellement grands et surchargés que le sourire du client cache difficilement son angoisse.

Allons-nous tout pouvoir manger ? Si déjà on paie tout.

 

Il y a ceux qui emportent  un sachet  nylon et dont le seul problème réside à le remplir en cachette pour ne pas faire pauvres.

Il y a les autres qui ont également un sachet et qui le remplissent ostensiblement en déclarant bien fort que « c’est pour le chien. »

Tu parles !

J’ai connu un restaurateur un peu plus futé. Pour régler le problème de

ses clients, il passait  en personne, à la fin du repas, avec tout un rouleau de  sachets

« Ehr hans bezàhlt, àlso mien ni net scheniara. »

– Vous avez payé, alors il ne faut pas vous gênez.

Et les clients, soulagés, retrouvaient leur sourire et leur appétit.

 

Avant l’invention du cholestérol, personne ne faisait de chichi.

D’ailleurs personne n’était malade.

«  D’r Cholestérol esch a Erfendung vu da Docter. »

– le cholestérol est une invention des médecins

– «  A püra Gàltmàcherreï ! »

– Une pure question de gros sous.

 

Nos deux compères sont d’accords et concluent philosophiquement par cette expression typique, simple, courte mais tellement sensée et je dirais presque poétique

« Yà Yà ! »

Complètement intraduisible.

Car c’est avant tout une question d’accent, une question de modulation.

L’expression est tellement importante que je dois vous l’expliquer.

 

«  Es werd weder ragna “

– il va de nouveau pleuvoir

Ya Ya !

 

Prononcer d’une voix que nous qualifierons de normale.

Le Ya exprime une acceptation avec quand même une pointe de regret.

 

«  Schtira sen weder uffa »

– les impôts ont encore augmenté

Ya Ya !

 

Dans ce cas, la prononciation sera un peu plus rapide

Ya Ya ! signifie la résignation, voire l’indignation, une limite qu’il vaut mieux ne pas franchir.

 

«  S’ Lawa esch zu kurz

– La vie est trop courte

-Ya Ya !

Prononcez avec lenteur, avec beaucoup d’air, en expirant profondément.

Ya Ya ! met l’accent sur la tristesse, souligne l’inéluctable.

C’est le  “ Inch Allah “ du coin.

 

 

 

“ M’r kennta a Bier drenka “

– on pourrait boire une bière

– Ya Ya !

C’est le oui franc et massif, le cri du coeur et de la gorge desséchée.

A peine prononcé, le Ya Ya ! vous transporte à l’Auberge du Cheval Blanc.

 

Il existe encore bien d’autres façons de prononcer le Ya Ya !

Un dictionnaire ne suffirait pas.

 

Sachez que les Alsaciens ont réussi le tour de force unique de concentrer dans un mot répété deux fois, toute la palette de leurs sentiments.

 

Quand vous réussirez à dire Ya Ya !, vous serez devenus un peu Alsaciens.

Ce jour-là, je vous inviterai, et qui sait, je vous préparerai peut-être une bonne choucroute !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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