Premiers brouillards.
Je distingue à grand peine l’autre bout de la rue. L’automne nous a pris par surprise.
Oh! il y avait bien quelques signes avant-coureurs : une feuille morte sur le capot de la voiture, les pommes et les poires qui mûrissent dans le verger…Mais l’été avait trop chauffé. On s’habitue trop vite au bonheur. On vit comme si le temps n’existait pas.
Il suffit d’un simple marron qui se détache de sa branche et va rouler dans le caniveau pour nous rappeler à l’heure.
Les marrons : que de souvenirs !
Quand nous étions gosses, nous en faisions des bonshommes, des munitions parfois. Nous lancions des bâtons vers les branches pour déclencher des avalanches de marrons et nous rentrions bien vite la tête quand tombait l’averse des fruits vernis.
A l’époque, on ne changeait pas d’heure. L’heure d’été et celle d’hiver n’existaient pas. Je ne dis pas que nous vivions hors du temps, non, mais voilà, il y avait les marrons qui nous rappelaient la rentrée toute proche.
Alors, c’est avec un mélange de regrets et d’impatience à la fois que nous commencions à cirer nos cartables.
L’automne, les marrons, les raisins murs, les premières noix, une nouvelle maîtresse ou un maître : l’automne, c’était tout cela.
Alors quand nous rapportions nos livres de classe, toute la famille se mobilisait pour les recouvrir de papier bleu. Maman écrivait de sa plus belle écriture, notre nom sur la première page de chaque cahier. Nous avions pris de bonnes résolutions. Nous nous apprêtions à livrer bataille.
Le bonheur est si simple.
Désormais, nos journées étaient rythmées par les horaires scolaires et chaque soir, la nuit semblait prendre un malin plaisir à tomber juste un peu plus tôt. Certains soirs, je rentrais quand le soleil était déjà couché. Je me souviens de cet étrange sentiment qui m’envahissait alors. J’avais l’impression d’être devenu brusquement adulte. J’avais quitté la maison alors qu’il faisait encore nuit et je rentrais, fier comme un homme qui a travaillé toute la journée. .
Et puis il y avait les dimanches avec leur déroulement presque immuable.
Le dimanche, c’est papa qui se levait le premier. Glissé dans la tiédeur du lit auprès de ma mère, nous dressions l’oreille pour suivre attentivement le déroulement des opérations, là-bas dans la cuisine.
Tiens, voici le tisonnier qui racle les cendres de la veille, le papier journal que l’on froisse et le menu bois qui se met à crépiter. Nous attentions l’explosion des gouttes d’eau écrasées entre la fond de la marmite et le dessus rougi de la cuisinière.
Puis l’odeur du café venait nous tirer du lit.
Le bonheur est si simple.
Le dimanche, c’était le jour du pot au feu. Un véritable rituel. Pendant que papa allait cueillir les légumes dans le jardin, maman mettait à bouillir une grande marmite d’eau avec les os et le plat de côte. Les viandes nobles seraient plongées un peu plus tard quand le bouillon aura perdu sa première écume.
Pendant la cuisson qui durait parfois plusieurs heures, je descendais à la cave couper du bois avec mon père. Il fendait les bûches à grands coups de hache et moi, j’empilais avec soin, les morceaux de bois. Nous parlions peu, mais nous échangions des regards complices et fiers quand l’ouvrage avançait bien.
Que voulez-vous, mes dimanches ont gardé l’odeur du pot au feu, le bruit régulier de la hache de mon père et le ronflement de la vieille cuisinière.
Alors, l’autre jour, par simple nostalgie ou par besoin profond, j’ai confectionné un pot au feu “ à l’ancienne “ c’est-à-dire un pot de feu de ma jeunesse.
Je me suis retrouvé à table, seul avec tous mes souvenirs.
Oh! Mon pot au feu était certainement réussi.
Mais comment puis-je en être certain ? .
Il n’y avait personne pour me le dire.
Le bonheur c’est si simple. Il suffit d’être deux.
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