Magie en noir et blanc

Reveler

 

Le cadran porte deux aiguilles. Pourtant, ce n’est pas une montre. D’ailleurs, une seule aiguille bouge. De plus, elle tourne dans le mauvais sens. Qui a défini le sens des aiguilles de nos montres ?

L’aiguille est partie du six, un chiffre qui n’est pas à sa place habituelle, mais je vous l’ai dit, ce n’est pas d’une montre qu’il s’agit.

L’aiguille avance donc à reculons. La machine fait entendre un léger ronronnement. Quand l’aiguille mobile arrive sur le zéro, on perçoit un déclic. La lumière s’éteint. L’image disparaît.

Alors l’homme saisit le papier et, dans la pénombre de son laboratoire, il trempe la feuille dans le révélateur. Il travaille avec des gestes précis, professionnels. Il agite doucement le papier, un peu comme on berce un enfant, pas trop fort, non, juste comme il convient de le faire.

Alors pour la énième fois, la magie s’opère. L’image apparaît.

Ce sont tout d’abord quelques traces de-ci de-là. Puis les traces grandissent, se rejoignent. L’image se forme de plus en plus distinctement. Voici un visage, avec ses yeux noirs, sa bouche aux lèvres veloutées, ses cheveux d’un blond clair. Ce sont les cheveux que l’homme surveille attentivement. Il faut à tout prix qu’ils soient aussi beaux, aussi soyeux que ceux du modèle. Mal exposée, la photographie tournerait au gris sombre. C’est dans le dosage de la lumière que réside tout le secret.

Il avait fallu des années entières pour atteindre la perfection. Maintenant ses mains savent. L’homme n’a plus besoin de réfléchir. Ce sont ses mains qui centralisent le savoir.

Quand l’image ressemble au rêve, l’homme la retire délicatement du révélateur,  il la plonge dans le bain d’arrêt, puis dans le fixateur.

Il pourrait allumer la lumière blanche, sans aucun risque. Il pourrait aussi saisir une autre feuille de papier, changer de négatif, recommencer.

Non ! Il ferme les yeux, comme pour voir mieux l’image fugitive qui a traversé sa pensée.

Il avait vu les visages de ses amis, les visages de tous ceux qui constituent sa vie. Oui, il a compris que finalement la Vie n’est qu’un immense laboratoire.

On ne peut développer que ce qui existe déjà au paravent.

Image latente comme disent les photographes.

Image cachée, image potentielle, prête à se former à condition de rencontrer le bon produit, au bon moment.

Image révélée. Image qui prend une forme. Image qui existe vraiment. Image qui passe du rêve à la réalité.

Oui, révéler, faire apparaître, donner une vie.

Révéler, être le révélateur, celui qui donne vie, celui qui permet à l’Autre de se trouver, d’être vraiment lui-même.

Être le révélateur ?

Est-ce une forme du bonheur ?

 

Le compte pose, compagnon de centaines d'heures dans la pénombre des laboratoires.

Visits: 120