– Vous acceptez les chèques ?
– Bien sûr que oui !
Alors l’homme sortit son chéquier et le posa sur la table. Puis, il prit son stylo : pas n’importe quel stylo. Un stylo à plume avec une réserve d’encre.
Avec ces stylos-là, on ne gribouille pas : on écrit. Je dirais presque que l’on écrit avec une certaine solennité. Ces stylos-là, il faut les respecter, il faut les apprivoiser. Ces stylos-là rêvent d’éternité. On ne les jette pas une fois épuisés, comme l’on fait avec ces stylos de rien aux couleurs criardes, tout en plastique.
Ces stylos-là, se courtisent, s’apprivoisent, se rechargent et ce n’est qu’à condition de se sentir aimés qu’ils acceptent de vous suivre sur les chemins de votre inspiration.
« Je vous dois combien ? »
A l’énoncé de la somme, le stylo commence sa promenade qui termine par un point que nous qualifierons de final.
Alors, le chèque libellé, l’homme referme le capuchon de son stylo qui retrouve illico sa place dans la poche intérieure de la veste.
Puis, il plie le chèque pour l’arracher dans les règles de l’art, c’est-à-dire correctement, sans bavure…
Et l’homme remarque : « tiens c’est le dernier chèque.
Il faudra que j’avertisse ma banque pour qu’elle m’en prépare un nouveau chéquier. »
Geste tellement banal qu’on se demande pour quelle raison en faire tout un plat.
Geste tellement banal qu’il a fini par être détrôné par un simple bout de plastique que d’aucuns appellent « carte de crédit »
Ce n’est plus le stylo qui indique la somme par sa danse gracieuse et graphique, mais une série de « Bip » qui attestent la validité de votre code secret.
Signe des temps
Et pourtant…
Quand la vie m’a demandé mon premier chèque, c’est parce que je venais de faire une chute. Mon bras cassé en tout petits morceaux, a certes été réparé, mais non sans peine, sans séquelles non plus.
C’était là mon premier chèque sur ma vie.
Le deuxième chèque m’a été demandé par surprise.
« Mon cher ami, vous êtes diabétique. Fini les petits gâteaux, terminées les confitures, et je ne parle ni des glaces ni surtout des pâtes de fruits.
Il a fallu faire un chèque pour continuer.
Le troisième chèque, ô combien douloureux, m’a été soutiré par le chirurgien qui venait de passer quelques heures à essayer de remettre de l’ordre dans les fils qui commandent mes jambes.
Mais le chien avait été le plus fort et mon chèque avait un gout de coup de bâton dans l’eau.
Et puis ce fut le tour du cœur qui s’emballe pour un rien et les choses les plus simples deviennent de plus en plus inaccessibles.
L’autre jour, j’ai encore fait un chèque, et, comme l’homme de mon histoire banale, je me suis rendu compte que le nombre des chèques commençait à diminuer dangereusement.
Il faudra que je demande à ma banque de tenir à ma disposition un nouveau chéquier…
On peut toujours rêver.
Au fait, si vous avez une bonne adresse, ne m’oubliez pas.
Je vous filerai peut-être un chèque pour vous dédommager.
Qui sait ?
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