Le voyage à Lourdes

Chez nous, en Alsace, un village sans église, cela n’existe pas. Il y a même des petits bourgs qui possèdent deux églises : une catholique et une protestante, car le statut local oblige la municipalité à fournir un lieu de culte à chaque religion officiellement reconnue.
Dans les villes, on va même plus loin, on rajoute parfois une synagogue.

À l’inverse, dans certains petits villages, l’église est catholique et protestante à la fois. Simples questions d’économe et de programmation. L’église est catholique, le temps de la grand-messe, puis on change les décors, et l’église  devient temple protestant.

Je vous le dis : les Alsaciens œcuméniques avant l’heure !

N’empêche que dans notre village, le curé est fier de son église. Elle vient d’être refaite à neuf. Il en avait  fallu des sermons, des appels, voire des menaces, car les paroissiens sont tous plus ou moins radins.

Une église, c’est bien, mais il y a mieux encore. Notre curé fait partie de ceux qui ont les rêves haut placés. Il      ne se lassait pas de répéter à qui voulait l’entendre (aux autres, d’ailleurs non plus) qu’une grotte de Lourdes, même sans prétention, serait du plus bel effet.
Le village était donc divisé en deux camps.

Il y a ceux qui se sentaient plus ou moins obligés de suivre les idées du curé, et les autres qui prétendaient que « le curé voulait péter plus haut que son Q! Et quoi encore! Après la grotte de Lourdes, pourquoi pas une copie de l’étable de Bethléem!»

 Mais, notre curé utilise une technique spéciale. Il ne s’attaque jamais de front, il finit toujours par avoir les gens à l’usure.

Toujours est-il que lors de la dernière réunion du « Conseil de Fabrique » : (l’association qui gère les biens de l’Église), on tomba d’accord pour budgétiser une reproduction de la grotte de Lourdes, à condition toutefois qu’elle soit de bon goût et pas kitch. Pour ne pas tomber dans ce piège, une seule solution : aller sur place et     voir de visu !

La chose semblait des plus raisonnables, mais voilà, on tomba sur un hic ! Notre curé était le premier curé motorisé et ne se déplaçait qu’en moto. La moto présente des avantages : moins onéreuse qu’une voiture, une consommation réduite de carburant, et de plus, chose primordiale pour un curé, sa moto servait de récompense dans la mesure où les bons élèves en catéchisme avaient le privilège de faire un tour à moto, assis     derrière le curé. Et il fallait voir avec quelle fierté les lauréats enfourchaient la moto et se tenaient au curé avec  difficulté, il est vrai, vu son embonpoint.

Allez à Lourdes en avion, c’était dépenser beaucoup d’argent, d’autant plus que Jules fit remarquer qu’un curé         qui voyage seul, cela ne fait pas sérieux, et qu’il risque d’être soumis à des tentations. Amen !

On décida donc que Marie, la bonne du curé escorterait son maitre pour lui servir de mentor, et veiller sur lui.   Mais voilà, un voyage de presque 1000 km, à deux sur une moto, n’était pas envisageable sans demander l’autorisation à Monseigneur l’Évêque. Toutes ces démarches représentaient un travail colossal, sans parler du risque d’un refus.

Marcel, le garagiste proposa une idée.

«  En ce moment, j’ai une 2 CV qui ferait bien l’affaire. Elle est en bon état, et tiendrait le coup. Qui plus est, notre curé  possèderait par la suite une voiture comme les autres curés, et il n’irait plus se distinguer avec sa moto.»

 L’affaire fut donc conclue et le curé et Marie se mirent en route.

Au départ, les choses se passèrent bien, et n’eut été la soutane du curé, on aurait pu prendre les voyageurs  pour un couple en voyage de noces.

Tout allait donc pour le mieux, du moins pendant l’aller. C’est sur le chemin du retour que les ennuis commencèrent. Imaginez, 1000 km avec votre pied sur la pédale de l’accélérateur. À la fin, c’est sûr, tout le monde serait victime de crampes. Notre curé qui ne perd pas le Nord, avait remarqué que le siège avant était    conçu
de telle façon qu’il n’y avait aucune séparation entre le conducteur et son pilote. Il suggéra donc à Marie de passer son pied de l’autre côté de la colonne de direction, et de le relayer de temps à autre, pendant  la manœuvre d’accélération.

Et l’on pouvait entendre, des injonctions du genre : «Marie donne du gaz, je m’occupe du reste».

 Tout est bien qui finit bien. Les deux voyageurs arrivèrent à bon port, fatigués certes, mais heureux et surtout   fiers de leur exploit. Dans un petit village, il ne peut y avoir de secrets. Les périples du voyage clérical firent rapidement le tour du patelin. Ils ne tombèrent pas dans l’oreille d’un sourd, comme vous allez vous en rendre compte.

Quelques mois plus tard, on inaugura une réplique de la grotte de Lourdes, avec un petit filet d’eau qui symbolise le gave de Pau. Gilbert, qui taille normalement les pierres tombales, s’était surpassé, car au milieu de la grotte, trône une statue de la vierge qui ressemble à s’y méprendre, non à la Sainte Vierge du Paradis, mais à notre Marie bien de chez nous.
Celle qui avait été en pèlerinage à Lourdes avec son… curé.

Cete histoire repose sur des faits par totalement inventés
Elle est extraite de mon livre

Un autre regard tome 4

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