Réflexions sur les photographies de portraits.

Quelques réflexions théoriques sur les portraits en photographie.

 

Du zénith au nadir, du Nord au Sud, du l’Est à l’Ouest, jusqu’aux quatre coins de l’Hexagone ( ?)…la photographie est omniprésente.
De l’infiniment grand, à l’infiniment petit, du Mont Palomar, aux entrailles du CERN à Genève… On ne voit qu’elle.
Je pense qu’aucun domaine n’échappe à la photographie : c’est pourquoi, il me semblerait plus judicieux de ne pas parler de photographie au singulier mais, vu son emprise, de parler de photographies au pluriel.

Il est vrai qu’il y a, au sens propre, comme au sens figuré, un monde entre ceux qui photographient les galaxies et autres corps célestes et ceux qui traquent les traces par lesquelles les particules élémentaires manifestent leur existence.
Mais même, si vous n’êtes qu’un » photographicus vulgaris », vous admettrez que celui qui photographie les paysages n’a que peu de points communs avec celui qui se penche sur les macrophotographies de fleurs et d’insectes.
Peu de points communs certes, mais, à bien considérer les choses, ils sont malgré tout sur la même voie, ils poursuivent le même but : regarder pour voir, voir pour partager : pour faire voir à l’Autre.
Et là, pardonnez moi, on ne rigole plus !
Le photographe ne regarde pas tout simplement pour voir.
Je pense bien sûr, voir pour lui. Non ! Il regarde, il capte, il découpe pour faire voir à l’Autre ; celui qui ne peut être sur place, celui qui n’a pas le temps, celui qui n’a pas la chance de…

Il me paraît à la fois fastidieux et même inutile de recenser de manière exhaustive les différents genres photographiques.
Mon propos n’est pas de lister, mais plutôt d’évoquer quelques souvenirs, quelques réflexions inspirés par mon expérience et de voir si, par hasard, (qui n’est pas forcément hasardeux) nous pouvons en déduire quelques réflexions plus générales.
Je vous propose de parler portraits.
Nul doute que l’homme est finalement infirme.
Quels que soient les efforts qu’il développe, il ne se verra jamais de « l’extérieur ».
Ceci entrainent quelques conséquences comme la difficulté de se reconnaître dans un film.
Reconnaître aussi sa voix, car nous sommes condamnés à nous entendre de « l’intérieur ».
La pratique m’a appris que de faire du portrait n’est pas facile ou alors, mais il faut que vous acceptiez un raccourci que je qualifierais de pédagogique,  disons qu’il y a deux sortes de personnes faciles à photographier ; les enfants en bas âge et à l’opposé, les personnes âgées.
Pourquoi ? That’s the question !
Et bien, permettez-moi de vous proposer une solution.
Elle est finalement très simple et je préfère de loin les solutions simples aux solutions tarabiscotées.
Les enfants en bas âge et les personnes âgées n’ont plus le souci de paraître.
Je m’explique :
Les enfants, me semble-t-il, n’ont pas encore pris conscience du besoin de paraître. Ils sont encore « nature » !
Ils possèdent cette candeur que confère la spontanéité, le non calculé.
Quant aux personnes âgées, l’expérience de toute une vie, leur a parfois appris à faire le tri encore l’être et le paraître. Elles n’ont « plus rien à perdre » et peuvent donc redevenir elle-même.
J’aime me promener dans les visages des enfants. J’aime recueillir les lueurs d’intelligence et de malice, j’aime cette page presque blanche qui s’ouvre à la vie.
Mais, ce n’est malheureusement pas toujours le cas, car il existe aussi dans certains visages les traces que laissent l’hérédité, les atavismes voire la prédestination.
La photographie des portraits de ces enfants-là, vous laisse un goût amer, une impression d’injustice, de non espoir parfois.
J’aime aussi les grandes promenades dans les visages des anciens : Visages burinés, visages sculptés.
Promenades sur les sentiers de la vie.
Ce sont les rides qui vous tendent la main et qui chemin faisant, vous racontent des histoires : histoires bouleversantes parfois.
Rides creusées par des événements pénibles, mais aussi rides souvenirs de sourires.

« Toi qui regardes dans le miroir
Ton visage éclatant,
Jamais il ne faut que tu regrettes
Les rides que laisse le temps,
Car seul un visage ridé,
Prouve que l’on a su aimer

» Photographier des portraits : c’est aller à la rechercher du temps passé tout en gardant le regard tourné vers l’avenir.
Prendre un portrait, c’est arrêter le temps, c’est découper une tranche d’éternité.
Tels que nous sommes hic et nunc. Ici et maintenant, coincés en passé qui nous a forgés et l’avenir qui s’ouvre sur une inconnue.
On ne joue pas impunément avec le temps.
Il faut être conscient de la portée de notre geste, de son importance, de sa solennité aussi.
Osez arrêter le temps !
Qui sommes nous pour avec le courage de tenter ce geste sacrilège ?

De telles considérations ne peuvent déboucher que sur l’humilité.
Quand j’abordais les portraits dans mes cours de photographie, j’avais bien soin de souligner la « responsabilité » du photographe devant ce qui pouvait passer pour un acte banal.

« Voilà, vous venez de faire le portrait d’un homme.
Il sort de votre atelier, traverse la rue et se fait écraser par un camion.
Vous êtes la dernière personne à l’avoir vu, le dernier à l’avoir immortalisé (au sens propre).
Dans le portrait que vous venez de faire, j’aimerais retrouver non seulement les traits de son visage et savoir comment il était, mais j’aimerais également savoir qui il était.
N’oubliez donc pas de photographier « l’âme des gens »
Et c’est peut-être là, ce qui pose les plus grandes difficultés.

Tiens un exemple.
On m’a souvent demandé de faire des portraits d’hommes ou de femmes qui poursuivaient des ambitions politiques.
Ces gens-là ont le souci de paraître sous le meilleur jour, afin de faire le plein de voix.
Il y a ceux qui veulent paraître plus jeunes ; d’autres désirent paraître plus sérieux, plus sécurisants.
D’autres enfin veulent mettre l’accent sur leur ouverture à l’Autre.

Une boutade :
dites à une femme que vous allez la photographier, et son premier geste est de se précipiter sur un miroir !

Cette réaction prouve bien toute l’importance qu’elle attache au paraître.
Dans mes séances de ce type de portraits,(et n’oublions pas que nous étions à l’époque de la photographie argentique) j’utilisais 2 boîtiers.
L’un était équipé d’un film, l’autre était vide.
Alors je mitraillais avec mon appareil sans film et personne ne s’étonnait qu’un film de 36 poses me permette allègrement de faire une centaine de prises de vues.

Au fur et à mesure que je tournoyais autour de lui, mon modèle, d’abord crispé, commençait à se détendre.
Il redevenait lui-même.
C’est à ce moment-là, que je saisissais le boitier équipé d’un film pour faire en quelques photos les clichés définitifs.

Quelle est la part du photographe dans les portraits ?

A première vue la question paraît saugrenue.
Pourtant à regarder de plus près la question n’est pas dénuée d’intérêt.

Proposition de solution mode ZEN

1)  Si ta photographie ressemble au modèle et seulement au modèle,
mets ta photographie à la poubelle.
Elle pourrait être l’œuvre de n’importe qui.

 

2) Si ta photographie ressemble au photographe et seulement au photographe,
mets la à la poubelle.
Tu seras devenu prisonnier de toi-même, prisonnier de ton style et le modèle n’a plus d’importance.

3) Si ta photographie ressemble au modèle et au photographe,
porte la vite chez l’encadreur car tu auras réussi à capter un instant fugace, un instant volé à l’éternité.

En effet, le photographe s’investit autant dans la photographie que le modèle.
Les grands peintres signaient leurs tableaux. On se faisait peindre pour la postérité en prenant la pose devant un Vélasquez, un Renoir etc.….parce que ces gens-là avaient une façon de peindre, une vision personnelle qui leur donnait « leur style ».
Pourquoi en serait-il autrement pour les photographes ?

J’ai rarement taquiné les pinceaux.
Tout d’abord par manque de don, et puis aussi parce que je n’ai eu la chance ou l’opportunité de rencontre un initiateur.
Je suis devenu photographe autant par hasard que par conviction.
Pourtant j’aimerais revenir sur quelques considérations concernant les relations entre peinture et photographie.
J’ai eu la chance de me promener à Venise dans la Ca doro.
On y voit une riche collection de tableaux qui vous fait voyager dans l’histoire de la peinture.
Ce sont tout d’abord des tableaux, qui remontent au moyen âge.
Ils se caractérisent par ce que j’appelle de la peinture à plat, une peinture avec un éclairage uniforme, comme si la lumière venait de partout.
Une peinture sans ombre, sans relief aussi.
Ce genre de peinture a duré longtemps. Elle a souvent des origines sudistes, ces pays où il brille un grand soleil.

Puis un jour, les peintres se mirent à voyager et, chose importante, les peintres du Sud rencontrèrent les peintres du Nord.
Ceux de l’école flamande.

Dans les pays nordiques, la lumière est distribuée de façon plus parcimonieuse et en vertu du principe qui veut que tout ce qui est rare est plus précieux, je vois bien dans ma tête, les peintres du Nord qui ramassent précieusement tous les petits bouts de lumière pour aller éclairer leurs tableaux Et la lumière allume les tableaux.
Elle les anime –leur donne une âme – et les tableaux se mettent à vivre.
Cette rencontre entre les peintres du Sud et du Nord correspond à mon avis à la rencontre capitale des peintres et de la lumière.
Du clair obscur, de Rembrandt à Delacroix, la lumière a enfin pris toute la place qui lui revient

Juste quelques réflexions pour vous les photographes

Vous qui …..photo-graphien
« Peignez avec de la lumière. »

 

portrait

 

Visits: 196