Le premier.
Oh ! une maman est toujours un peu fière, fière de son fils, fière sans vouloir se l’avouer, mais elle avait ressenti au fond d’elle, une grande joie, car son bébé avait été le premier, oui, le premier à marcher.
Cet enfant-là avait un je-ne-sais-quoi, quelque chose d’inexplicable. Il avait des mots bien au-dessus de son âge. Ce petit corps abritait un esprit différent des autres, un esprit, je dirais même supérieur. Mais n’allez pas le répéter, car chaque maman est sûre d’avoir enfanté le plus beau des bébés.
Pourtant, celui-là, était un enfant pas comme les autres, un tantinet plus réfléchi, plus sérieux, non pas triste, ça non ! car il savait rire à pleine gorge, mais comment vous dire, on le sentait plus sûr de lui.
D’ailleurs, l’école allait confirmer cette impression, car, là aussi, il fut le premier, le premier à savoir lire, le premier à savoir compter, le premier à la course, le premier au concours de dessin organisé par la caisse d’Épargne de la ville.
Sa voie était toute tracée. Au lycée, il fut encore le premier : premier en latin, en mathématiques, en géographie et, le jour de la distribution des prix, il fallait le voir, les bras chargés de livres.
Un enfant qui avait bien du mérite. Un enfant qui donnait bien des satisfactions et, vous n’allez peut-être pas me croire, mais sa maman se sentait toute petite et grandie à la fois par le prestige et la renommée de son fils.
Il fut le premier à l’université, évidemment : le premier à obtenir son doctorat, et quand vint la guerre, il fut le premier à s’engager, le premier à être décoré.
C’était une journée grise, au ciel bas. Novembre et ses brouillards avaient envahi la campagne.
La guerre venait de se terminer, quand on entendit soudain le claquement sec d’un coup de fusil.
Il s’écroula.
Pour une fois, oui, pour une fois, il avait été le dernier.
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