L’autre jour, en fouillant mes poches, j’ai trouvé mon briquet. Un briquet qui date de l’époque, pas trop lointaine, où je croyais devoir prouver mon âge adulte à grands coups de fumée. C’est un de ces briquets que l’on achète et puis que l’on jette après l’avoir épuisé.
Je me suis alors souvenu de l’unique briquet de mon père ; un briquet comme on n’en fait plus. Je revois le corps en laiton, avec la mèche et sa roulette ; et il suffit que je ferme les yeux pour que monte dans mes narines l’odeur de l’essence.
Papa et son briquet : c’était une histoire d’amour. Car ces briquets-là c’étaient comme des maîtresses qui ne vous accordent leur flamme qu’à condition de se sentir aimées. Alors, certains soirs, comme on ferme la porte pour se sentir mieux chez soi, père s’enfermait dans la cuisine avec son briquet. Maman admettait cette amourette, à condition qu’il n’empeste pas la maison.
Assis à côté de mon père, je revois ses gestes et ce n’est que bien plus tard que je compris que c’étaient des caresses : la pierre qu’il changeait et les gouttes odorantes qui tombaient de la pipette. Papa et son briquet ne se quittaient jamais. Ils vivaient ensemble.
Il suffit parfois de retrouver un vieux briquet pour que renaissent les souvenirs et pour qu’apparaisse, dans le ciel gris, un rayon de vérité.
Aujourd’hui, on achète. Les stylos, les briquets, les rasoirs se jettent et ne se rechargent plus.
A force d’avoir appris à jeter, l’homme oublie d’aimer.
Il est près le jour où l’on jettera les coeurs vides d’amour, sans même, un seul instant penser, que s’ils sont vides c’est à force d’avoir donné.
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