Joséphine, Jules et le baudet.
Mon histoire remonte il y a bien longtemps.
A l’époque, on n’avait pas même inventé les voitures.
C’est vous dire …
Pas de voitures, pas de camions, pas de tracteur non plus. Alors, c’est le cheval ou le bœuf qui tirait la charrue. Les gens riches, comme de coutume, n’avaient pas de difficultés. Ils se déplaçaient en calèche ou autres voitures hippomobiles.
Mais voilà, mon histoire se passe à la campagne.
Joséphine et Jules vivent dans une ferme : une vache et quelques arpents de terre. Et comme toutes les femmes de la campagne, Joséphine élève un cochon, quelques lapins et des poules mais elle avait hérité de sa mère, un sacré tour de main pour fabriquer les fromages de chèvre. Alors, elle élevait quelques biquettes et fabriquait de petits fromages appelés crottins. Ces crottins-là faisaient sa fierté, car elle les roulait dans les cendres des feux de bois, qu’elle avait recueillies tout au long de l’hiver.
Demain, se tient le comice agricole et avec le comice, il y avait aussi, le marché annuel, là-bas sur la grand-place.
Alors, tous les paysans du coin se donnent rendez-vous. On vend les produits des fermes et l’on en profite pour renouveler sa garde robe, un pantalon solide, en velours, un restant de coupon de tissu pour madame.
Le lendemain donc, Joséphine et Jules se lèvent de très bonne heure. Le soleil lui, n’avait pas encore montrer le bout de son nez et la rosée perle dans les prairies.
Jules prépare le baudet : « mon cheval de course » comme il se plait à dire. Et le baudet fut harnaché. Jules lui fixe deux gros paniers et Joséphine s’empresse d’y mettre ses précieux fromages emballés séparément.
Et ils se mettent en route. Jules tient la longe, Joséphine trottine à ses côtés et le baudet avance comment dire, presque joyeusement comme s’il connaissait le but de la promenade.
Quand ils arrivent au croisement du gros chêne, ils rencontrent les voisins les plus proches. D’ailleurs, plus proches n’est qu’une simple expression, car la maison des voisins est à plus de 2 km. Des voisins comme ça, ne vous gênent pas.
En apercevant Jules et son épouse, le voisin ne peut se retenir :
« On aura tout vu ! Vous avez un baudet et vous marchez à côté de lui. Vous avez peut être peur de le fatiguer ? Un baudet s’est fait pour s’asseoir dessus ! »
Alors Jules fait signe à sa femme.
« Allez, Joséphine monte. »
Et le voyage continue.
Comme le baudet n’avance que lentement, faut vous dire que la Joséphine fait son poids, les voisins prennent rapidement de l’avance.
Quand Jules et Joséphine arrivent à la hauteur de la vieille chapelle, ils « tombent » sur le vieil Arthur.
Faut vous dire que le vieil Arthur n’avait pas même 50 ans. Dans la région, tout le monde dit « le vieil Arthur » Je vais vous dire, je crois qu’Arthur est né vieux. Cet homme-là, n’a certainement jamais été jeune. Il ne participait à rien et de mémoires d’anciens, on ne se souvient pas de l’avoir jamais vu à aucun bal. Arthur est un solitaire, avec un teint cramoisi. On ne sent pas bien en sa présence ; on n’a qu’une hâte c’est qu’il reparte au plus vite. Et voilà que l’Arthur s’exclame :
« On aura tout vu ! Une femme sur un baudet, pendant que son mari trotte à ses côtés. A quand les femmes en pantalons, des femmes qui fument.
Alors, la Joséphine dit :
Jules, j’aimerais bien un peu me détendre les jambes. Viens prendre ma place.
Et le voyage continue.
Quand ils passent derrière le moulin, voilà qu’ils se retrouvent nez à nez avec Henriette. Faut vous dire que la Henriette c’est un sacré morceau. Un caractère à vous faire fuir. D’ailleurs, on ne lui a jamais connu le moindre amoureux. C’est vous dire…
Henriette, s’est arrêtée en plein milieu de la route. Les poings sur les hanches.
«On aura tout vu !
Monsieur se prélasse sur son baudet pendant que sa femme est obligée de marcher » Puis elle prononça un mot en dialecte, incompréhensible qui se termine pas « cho ». Qui sait ? peut être l’ancêtre de macho ?
Alors Jules qui se sent visé, s’adresse à Joséphine. Allez viens monte avec moi. Le baudet aura assez de force pour nous porter tous les deux.
Et le voyage continue.
Avant d’arriver au bourg, la route s’amuse à faire une petite montée : un petit raidillon, mais qui vous casse les jambes.
Le baudet prend son élan… mais voilà…le Maurice est justement assis sur le banc :
« on aura tout vu ! Vous n’avez pas honte ? A deux sur un baudet. Vous allez finir par le tuer »
Sur la grand-place, il y a foule. D’un côté, là-bas sous les grands marronniers, les paysannes ont installé leurs grands paniers. On vend le surplus de légumes, des œufs, de la farine aussi et il flotte dans l’air l’odeur puissante des saucisses fumées, du lard doré.
Un coin de la place est réservé aux marchands qui vendent les porcelets roses que l’on va engraisser. Les poussins piaillent et sautillent comme des boules jaunes. Et puis il y a les marchands. Ils vendent de tout e de rien, des choses utiles et d’autres futiles. Je ne parle bien sûr pas des chapeaux de paille et des tabliers. Ces choses-là sont indispensables, mais dites-moi, vous croyez vraiment que les rubans valent la dépense ?
Vers midi, c’est un mouvement de foule. Il y a ceux qui se paient un bon repas chez André, le bistrotier. Il y a les autres, qui vont s’asseoir sur les marches de l’église et qui dégustent lentement leurs tartines tirées de leur sac.
Au fait, vous avez vu Joséphine et Jules ? Où sont-ils passés ? Avec leur baudet, ils ne devraient pas passer inaperçus ?
Et bien, je vais vous dire moi, où sont passés Joséphine et Jules. Ils se sont assis sur le banc, oui le banc sur lequel était assis Maurice.
A côté d’eux, le baudet broute un peu d’herbe, mais sans appétit.
Joséphine et Jules se regardent tristement
Alors on fait quoi ?
- quand nous marchons à côté du baudet ce n’est pas bien,
- quand nos sommes assis tous les deux, on nous accuse
- quand c’est Joséphine qui monte, on nous critique
- quand c’est moi qui suis sur le baudet, on m’insulte
alors on fait quoi ?
Dites moi ? Vous avez une solution ?
Et c’est Joséphine qui conclut en quelques mots pleins de sagesse. Ces mots-là sont entrés dans l’histoire tellement qu’ils savent exprimer une réalité
« Tu peux te tourner comme tu veux. Tu as toujours ton cul par derrière.»
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