Flocon nous a quittés

Mon ami Jean-Marc est non-voyant. J’ai fait sa connaissance par l’intermédiaire du vétérinaire qui soignait nos chiens.
J’étais à la recherche d’un sujet pour tourner un nouveau film. C’est mon chien qui m’a soufflé à l’oreille :

« Et si tu parlais de la relation entre les chiens guides et leur maître ! »

Il faut que je vous dise que Jean-Marc n’a pas toujours été aveugle. Il possède donc des souvenirs. Jean-Marc a les pieds bien sur terre. Quand le malheur l’a frappé, il a réagi. Il a pris son destin en main.

Jean-Marc a passé une qualification comme agent d’accueil téléphonique dans une grande surface spécialisée dans la vente de matériel pour bricolage. Il a travaillé dur et c’est avec une fierté légitime, qu’il m’a appris qu’il avait été classé second sur la liste des postulants. Second : « nous avons même battu les voyants. »

Jean-Marc a mis toutes ses forces à retrouver une vie des plus normale. Il bricole, il fait la cuisine. Mais, le plus important, c’est son engagement dans la vie socioculturelle. Jean-Marc est membre très actif d’un club de non-voyants qui font du tandem. Et c’est avec grand plaisir qu’il m’a relaté leurs longues promenades.

Flocon était son chien guide. Il faut vous dire qu’handicap et humour ne sont pas incompatibles. C’est parce que son chien était noir, qu’il a été baptisé « flocon. »

Flocon était encore très jeune. Il venait de terminer sa formation de chien-guide. J’ai été témoin de la relation qui lie chien-guide et non-voyant.

Nous avons tourné un film qui a été primé et qui passe depuis des années
Je pense qu’il doit ce prix à la dernière séquence, : une séquence que je dois au hasard. Un jour, Jean-Marc m’a téléphoné :

« Viens-vite. Pour quelques heures, j’ai réuni mes deux chiens guides. »

Alors, j’ai vu Nasty, le Labrador blanc : son premier chien.
Il était un peu trop âgé, un peu trop gros. Il avait travaillé toute sa vie.

Il n’avait plus assez de force pour promener son maître.
Face à lui : Flocon, jeune, espiègle, tout en force.

Un moment, les deux chiens se sont regardés et j’ai vu dans les yeux du Labrador blanc comme un message.

Il regardait Flocon et semblait lui dire :

« Je te confie celui que j’ai conduit toute ma vie. Prends-en bien soin, mais surtout laisse-lui ses illusions, car, si c’est lui qui tient la laisse, c’est toi qui le conduis. »

Quelques mois plus tard, Nasty nous a quittés.
Flocon a pris la relève.

Et le temps a filé.
Jean-Marc vient de m’apprendre que Flocon, lui aussi, est allé au paradis des chiens.

Une histoire normale, car on n’arrête pas le temps, mais elle ne peut me laisser indifférent.

Dire : « je t’aime », est-ce toujours être condamné à souffrir ?

Ps :

Le film porte le titre : c’est vous qui voyez.
C’est bien sûr Jean-Marc qui l’a choisi.
Vous pouvez le voir sur Youtube

https://www.youtube.com/channel/UC5Ntaw4v4nqPPbefbLKLuqA