ANECDOTE : DES SEAUX POUR DES SOTS

Aujourd’hui, je vous propose une petite anecdote de mon passé de prof de cuisine.

Même si d’aucuns prétendent que les prof de cuisine sont des privilégies, car ils peuvent se goinfrer à volonté, je peux vous avouer que de faire préparer un plat à des élèves est souvent plus difficile que de le faire soi-même.

Mais, je me retourne sur 80 ans. Le filtre du temps à fait son œuvre.
Les moments durs d’autrefois sont devenus : le bon vieux temps.

ANECDOTE : DES SEAUX POUR DES SOTS

Il est des jours plus difficiles que d’autres.
Il est des jours qui vous pompent toute votre énergie.
Il est des jours qui vous laissent à plat.

Et pourtant, même ces jours-là, il faut savoir rester rigoureux, respectueux, si l’on veut que le métier « rentre. »

Je vais vous raconter un de ces jours-là, en forme d’anecdote véridique.
J’étais prof de cuisine dans un lycée.

Ce jour-là, comme tous les autres d’ailleurs, je suis arrivé au lycée un peu avant 7 heures. Nous autres, prof de cuisine, nous travaillons dans la matière : il nous faut les ingrédients pour nos recettes et la meilleure façon est encore d’arriver à l’avance pour vérifier si les commandes ont bien été livrées.

Les élèves sont arrivés en tenue réglementaire au coup de sonnette de 8 heures. Nous disposions de 4 heures pour préparer les 40 couverts du service de midi.

Après le repas, cours de technologie culinaire.
Que voulez-vous, il est indispensable de connaître le pourquoi des choses.

15 heures : retour en cuisine, pour le restaurant du soir. Il est normal qu’un lycée technique de cuisine possède un restaurant. Il faut bien que les élèves puissent « se faire la main » : cuisiniers et serveurs, bien sûr.

Toujours est-il que, ce jour-là, rien n’avançait correctement, si bien qu’il était déjà plus de 22 h 30, quand nous avons commencé à « envoyer » les desserts.

Bien oui, j’utilise le vocabulaire du métier.
N’allez pas dire que je jargonne !

Il était 23 h bien tassé, quand nous avons fait la synthèse du repas.
La synthèse est un moment d’une importance capitale.
Non seulement, nous revenons sur les différents problèmes rencontrés, mais j’ai pris l’habitude d’envoyer un cuisinier, en tenue et dûment toqué, faire le tour des tables pour recueillir l’avis des clients. Il me semble indispensable que les cuisiniers soient informés des avis de la clientèle.

Il ne restait donc plus qu’à faire la vaisselle. : une chose que les élèves adorent, vous vous en doutez !

C’est là que mon anecdote commence.

« - Chef, nous sommes fatigués, nous pourrions faire la vaisselle demain matin !
– Pas question de quitter une cuisine sale !
– Chef, nous travaillons depuis 8 heures ce matin ; vous voyez l’heure !
– J’ai dit que vous ferez la vaisselle. C’est un point d’honneur de ne pas laisser une cuisine sale.

Les « gamins » se mirent donc au boulot en maugréant.
Il ne restait plus qu’à faire les sols.

« Chef, les sols, on pourrait les faire demain. »
– Pas questions, vous sortirez quand ils seront nickel !

La contestation se faisait de plus en plus entendre, quand j’ai hélé le chef de l’autre classe qui travaillait avec nous :

‘ Oh ! Yves
– oui,
– combien ?

L’échange n’avait pas échappé aux marmitons.

« Je dirais 20
– tu veux dire : 20 pour commencer ! »

Je vous décris la suite.

Yves et moi, nous avons pris chacun un seau, qui fut rempli d’eau bien chaude et balancé sur le sol. Promesse tenue, chacun balança donc ses 20 seaux.

Peut-on parler d’inondation, ne voudrait pas mieux dire : tsunami ?
Les élèves se précipitèrent sur leur « râclots », vous savez, ces balais munis d’une traverse en éponge.

– Chef ! il y a de l’eau qui va entrer dans le restaurant,
– Rien à cirer, vous râclez !

Il était presque minuit, quand la cuisine avait repris « figure humaine »
Je trouve que l’expression convient bien, même si elle n’est pas trop orthodoxe aux  ou mieux aux oreilles des linguistes.

Les internes retournèrent à l’internat ; mais il restait 4 élèves.
– Chef, vu l’heure, nous n’avons plus d’autobus pour rentrer.

Et c’est ainsi que nous nous entassèrent dans ma petite 4 L et que je reconduisis mes cuistots.

Une soirée mémorable.
Une soirée qui démontra le besoin de solidarité.

Une soirée utile aussi, car depuis ce jour, il existait un mot magique.
Chaque fois que les cuisiniers rechignaient à  nettoyer la cuisine, il suffisait de prononcer le mot :

« Combien ! »

pour déclencher, ce que les publicitaires auraient dénommé : « la tornade blanche » : des marmitons qui grouillent et s’activent, comme des fourmis, mais un chef qui n’hésite pas à prendre un « râclot » pour donner un coup de main.

Eurêka !
J’ai réussi à photographier :

la fameuse goutte qui fait déborder le vase.

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