LE PHOTOGRAPHE ET SES RESPONSABILITES

Voilà bientôt soixante-dix ans, que je m’adonne à ma passion : la photographie.

Quand je me retourne sur mon passé, je dois bien admettre qu’elle avait commencé d’une drôle de façon.
J’avais tout juste cinq ans, quand ô sacrilège, je mis la main sur l’appareil photographique de mon père.

A dire vrai, ce n’est pas la chose photographique qui m’intéressait, mais le fait que l’appareil, un Lumière 6×9, portait sur l’un de ses côtés, un petit bouton.
Bouton magique, je vous l’accorde, car il suffisait d’exercer une pression sur le fameux bouton, et voilà que l’appareil s’ouvrait, comme un diable qui surgit hors de sa boîte.

Le « primo contact » avec la photographie, me valut une bonne fessée.
« On ne touche pas aux affaires du papa. »
Telle était la devise, étayée par une pédagogie qui faisait une large place aux arguments physiques.
Personne ne protesta ; c’était dans l’air du temps.

Sautons quelques années.
Me  voilà, à seize ans, moniteur d’une colonie de vacances.
Mon premier salaire me permit de m’offrir mon premier appareil: un Voïgtländer.
Un appareil qui était équipé d’une cellule couplée aux commandes de vitesses et de  diaphragme : une première, en ces temps-là.

On venait de franchir un pas des plus importants : on m’évaluait plus la quantité de lumière, désormais on la mesurait.

Mais le Voïgtländer, malgré cette fonction nouvelle, s’avéra rapidement incomplet au regard de mes besoins.
C’est à cette époque-là qu‘apparurent les premiers appareils commercialisés par l’industrie japonaise.

Quelques années plus tard.
Je venais de passer enseignant et de me marier.
Ne voulant prélever sur le budget du ménage, j’ai postulé pour un travail de laborantin,  le dimanche.
Et c’est ainsi que j’ai pu acquérir, mon premier boîtier à objectifs interchangeables.

Quand on achète un boîtier, on se marie avec une marque.

On ne peut changer, qu’à condition de tout revendre.
Je me suis souvent posé la question de savoir si j’avais bien fait de choisir Minolta.
A l’époque, cette marque avait une petite longueur d’avance.
J’ai donc travaillé toute ma vie avec des boîtiers et des objectifs Minolta.

Sautons encore quelques années.
Nous voici dans les années 1990.
Elles ont été marquées par l’apparition, puis la lente démocratisation de la photographie numérique.

Il est vrai que l’on en parlait depuis un certain temps.
Les rêves les plus fous allaient enfin pouvoir se réaliser :

– Ne plus être obligé d’attendre le développement pour voir nos photographies
– Ne plus être limité à 36 photographies par film.
– disposer de toute une gamme de sensibilités.
– pouvoir, grâce aux développements sur ordinateur, corriger nos photographies et les manipuler.

En réalité, le passage de la photographie argentique à la photographie numérique ne se fit pas sans douleurs. Et les douleurs se situèrent surtout du côté du porte-monnaie.

Le passage au tout numérique nécessitait :

 

– le remplacement des boîtiers et de tous les objectifs.
– l’achat d’un ordinateur.
– l’achat d’un logiciel adéquat : Photoshop.
– l’apprentissage et la maîtrise de cet outil informatique.

Certains ont essayé comme dit le proverbe, « de ménager la chèvre et le chou.»
L’une des solutions consistait à utiliser un scanner pour scanner soit les photographies, soit les négatifs. Mais, cela obligeait à acquérir un scanner onéreux à l’époque.

Nombreux ont été les photographes torturés par les mêmes questions.
J’ai franchi le pas en 1995.
Un jour, j’offris tout mon matériel argentique, boîtiers et objectifs à un jeune photographe désargenté.

Ce jour -là, je me suis marié avec Canon qui avait une petite longueur d’avance car la marque défendait le principe du CMOS contre les CCD qui équipaient les principales autres marques.
Le choix s’avéra judicieux, car les autres marques passèrent quelques années plus tard, au CMOS.

Je suis donc « entré en Photoshop », comme on entre dans les ordres.
J’ai poussé la porte du Photoshop 2, début des années 80 alors que je travaillais toujours en argentique.

A cette époque-là, j’ai eu la chance et je dirais même l’honneur, de devenir professeur de photographie à l’École supérieure de journalisme de Lille.

Retraité depuis 1995, j’ai enfin le temps de travailler pour moi.
C’est du moins ce que je me dis, mais cela n’est vrai qu’en partie.

On  ne peut avoir été enseignant toute une vie, et puis du jour au lendemain oublier que l’on a été un homme de transmissions.
Alors, j’ai été modérateur sur des forums.
J’ai mis au point une méthode qui me permettait de travailler en phonie– de vive voix – avec un groupe de 9 personnes.
Nos « cours » nécessitaient que nous tenions compte des décalages horaires entre celui qui travaillait en Arabie et l’autre qui habitait le Canada.

Ma retraite m’a surtout permis de reprendre le diaporama qui avait profité du fait que j’avais le dos tourné, pour devenir lui aussi numérique.

Récemment, on m’a demandé de reprendre l’enseignement de la photographie mais numérique bien sûr.

Pire encore :
A l’époque où presque tous les photographes  travaillent en numérique, on vient de redécouvrir la photographie argentiqueet l’on vient de me demander d’expliquer comment on développe les photographies argentiques.
Un comble !

Mais, mon histoire personnelle n’est qu’un détail parmi bien d’autres.
Ce n’est pas, me semble-t-il, d’une importante capitale.

Il faut que je conclus et ma conclusion de l’évolution que nous avons vécue sera d’ordre philosophique, mais avec toujours, des implications techniques bien entendu.

La photographie numérique bien comprise, offre tellement de possibilités, tellement de techniques, tellement de moyens, qu’il est inadmissible de trouver des taches sur des photographies ou des boutons dans le visage d’une mariée.
Et que l’on ne vienne pas me dire que c’est par respect d’une soi-disant « vérité » de ne pas corriger ses photographies.

Personne ne reproche à une femme de se maquiller avant de aller en ville.
Or, le mot «  maquillage » désigne également la technique de correction des photographies argentiques, celles du studio « Harcourt » comme celles « du petit photographe en bas de chez moi. »

On cache souvent l’incompétence, sous le couvert d’une philosophie toute personnelle.
A chacun ses choix.

PS :

Vous me «dites quoi»

Expression du langage de Dunkerque.
« Dire quoi » : faire des remarques.

Dans commentaires.

 

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