RANGER L’ARMOIRE

Au fur et à mesure que passe la vie, on accumule, on garde, on stocke.
Il est vrai que si nous étions raisonnables, il faudrait de temps à autre faire le tri et le grand ménage.

Tiens, nous allons parler de provisions.
Nous en avons tous besoin, régulièrement, quotidiennement.
Il est souvent plus économique d’acheter en grande quantité.
Alors les petits malins de la grande distribution se sont frottés les mains en se disant : « y’a bon ! »

Ils ont trouvé le truc qui rapporte.
On commercialise donc les denrées dans des quantités savamment étudiées.
La plupart des sachets contiennent plus qu’il ne faut pour un seul repas, mais pas suffisamment pour en préparer deux.

Ce serait vraiment dommage de jeter.
Alors, on stocke, on empile, on entasse et puis un jour, on découvre comme par hasard, des mites alimentaires, voire des charançons ou autres bestioles du même acabit.

Il est temps de  retrousser les manches.
On examine chaque paquet pour dénicher la date de péremption.
D’ailleurs on ne dit plus date limite de consommation (DLC), non « ils » ont encore trouvé un truc.
Maintenant, on parle de la date limite de consommation optimale.

L’autre jour, mon épouse avait décidé de se lancer dans une œuvre de grand nettoyage avec la femme de ménage dûment mandatée et équipée de gants.

J’étais là, plein de bonne volonté, mais vous le savez bien, quand les femmes ont décidé, les hommes n’ont plus qu’à se mettre l’abri, loin de leurs pieds et remballer leur volonté bonne au mauvaise.

Je ne sais si les cerveaux féminins et masculins ont été crées sur le même modèle.
En douce, j’émets quelques doutes.
Vaut mieux se taire et préférer battre en une retraite prudente et diplomatique.

Il était un bon 17 heures, quand les gants furent mis dans la poubelle et que ces dames s’octroyèrent une pause définitive.

Les armoires (il n’y en a que quatre) reluisaient. Être caressées par des mains de femme… je ne vous dis pas.
La poubelle présentait un ventre bien dodu, malgré plusieurs vidanges.
Tout semblait donc bien en ordre.

Chez nous, c’est moi le cuistot. Normal, car même à la retraite un ancien prof de cuisine ne sait regarder sans rien faire.
Le lendemain, je décidai donc de préparer le repas.
C’est là que les ennuis commencèrent.
Vous n’avez pas vu la farine ?
Et le sucre : dites-moi où est le sucre !
Qui a planqué la levure ?

En réalité, je vous le dis, j’aurais plus vite fait d’aller acheter du neuf que de trouver ce qui avait été si bien rangé.
Quitte bien sûr à poser le reste de mes paquets, au fait, dites-moi où… ?

« Perpetu um mobile »
traduisez par
Et on recommence
de plus belle bien sûr.

Mon histoire aurait pu se terminer sur ce cri de désespoir.
Et bien non !
Son épilogue est bien plus réel, plus triste aussi, veuillez me pardonner.

J’aime bien rêver.
Les rêves animent les nuits.
Il existe des rêves qui vous réalisent, bien justement, ce dont vous n’osiez que rêver.
Malheureusement, il y a aussi des rêves qui se transforment en cauchemars.

L’autre soir, j’étais donc dans mon lit.
Je dirais définitivement, car je venais de mourir.
Mourir, ce n’est pas grave, surtout quand la mort fait cesser les souffrances inutiles.
J’étais donc dans mon lit et une partie de mes héritiers avaient décidé de faire le grand ménage.

Ils avaient ouvert les armoires dans lesquelles j’avais rangé toutes les choses auxquelles je tenais. Leurs mains tripotaient sans vergogne toutes les choses que les miennes avaient caressées avec respect.
Il y avait à leur côté une poubelle grand ouverte dans laquelle ils « balançaient » non seulement tout ce qui à leurs yeux n’avait aucun intérêt, mais également toutes les choses, tous les objets qu’ils ne connaissaient pas.

J’étais triste de suivre ce remue ménage.
Malgré tout, je me consolais à la pensée qu’un jour, peut-être, on leur dirait :
« Quoi ! Vous avez jeté ceci… Vous ne vous rendez pas compte de la valeur… »

Des regrets à titre posthume.
Cela me fait une belle jambe.

Objets inanimés avez-vous une âme ?

Je sais, ce n’est pas de moi.
J’aurais dit plus maladroitement que c’est l’Homme qui donne un sens aux objets.
A quoi sert un tour d’horloger, quand on ne sait pas s’en servir .
A quoi sert un beau couteau quand on ne sait pas l’utiliser ?
A quoi sert un violon, quand on ne sait pas le faire chanter ?

Objets, compagnons de notre vie.
Outils qui ont été déformés par nos mains et qui, à leur tour ont déformé nos doigts,
vais je vous abandonner-là, orphelins au bord de la route ?

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