Petite histoire en marge de la grande histoire : papa

Aujourd’hui, j’ai décidé de vous parler de mon père.
Mon père était un homme simple.
Enfin, quand je dis simple, c’est seulement en apparences. Un homme qui a changé trois fois de nationalité ! Vous trouvez que ça fait simple ?

Mais il faut que je vous explique.Papa était né à l’étranger : entendez par là, qu’il avait vu le jour dans un petit village du Sundgau, la province du Sud de l’Alsace.

A l’étranger ! Comment ça ? Je croyais que l’Alsace fait partie de la France ?

Et bien voilà, papa est du début du 20° siècle et, à l’époque, l’Alsace était allemande. Oui monsieur ! C’est toute une région qui avait été annexée après la guerre de 1870. On ne leur avait pas demandé leur avis aux alsaciens : et hop les voilà allemands.

Il y eut bien des résistances, mais vous savez ce que c’est, des résistances dans les milieux chics oui, mais dans la vie de tous les jours, il fallait bien » faire avec ».
Avait-on le choix ?
D’ailleurs, maintenant avec le recul, je dirais que cette période n’a pas été marquée que par du néfaste. On a découvert les gisements qui devinrent les mines de potasse.
Pour les allemands de l’époque l’Alsace était un véritable Eldorado et l’on construisit beaucoup à cette époque-là. D’ailleurs rien qu’à Mulhouse, une grande partie des édifices officiels date de cette époque. On faisait dans le solide avec des belles pierres de taille fournies par les Vosges. Le tribunal en est un exemple.

Depuis les années 1870, la langue officielle était l’allemand, le Hochdeutsch, mais les alsaciens baragouinent un dialecte qui parce qu’il est, dirons-nous germanique, leur permettait de comprendre aisément.

Papa était donc né en 1910. Quand il aurait du aller à l’école, l’instituteur avait eu la bonne idée d’aller faire la guerre et cette vocation a mis fin à tout espoir de scolarisation.

Mais, même un gamin de quatre ans ne peut échapper à la guerre, et je vais vous l’expliquer.
Grand-père était encore à la force de l’âge et tous les hommes valides furent mobilisés. On proposa aux familles de quitter le front et d’aller se réfugier en Bavière. Une dernière étreinte. Grand-père partit vers Verdun pendant que grand-mère allait s’établir dans un village de Bavière en emportant avec elle l’enfant de la dernière rencontre.

C’était donc une petite famille qui était venue s’installer en Bavière : une maman et ses trois fils. L’aîné qui avait 14 ans, fut placé chez un agriculteur, pour garder les vaches. Le second se vit confier la surveillance des oies du curé, pendant que le plus jeune, mon père, traînait dans les jupes de sa mère et dans celles des femmes du village.

Il y eut une grave épidémie de grippe espagnole. On parlait d’influenza ». La maman fut emportée en quelques jours, et grand-père fut démobilisé parce que, voyez-vous monsieur, l'état major ne voulait pas que l’on puisse dire que l’armée allemande privait trois orphelins de leur père.

Et c’est ainsi qu’un petit train à vapeur déposa un père et ses fils à la gare de Mulhouse.

C’était déjà pas mal d’aventures pour une famille.

Mais l’histoire ne s’arrête pas à si peu de choses.

Papa changea une fois de plus de nationalité en 1939 quand l’Alsace retomba dans les mains des Allemands. Oh juste une parenthèse, car elle redevint française à la fin de la guerre. Mais ce retour « à la mère patrie ( ?) » s’accompagna d’une obligation : celle d’être appelé sous les drapeaux de la Wehrmacht. Et c’est ainsi que papa fut enrôlé de force dans l’armée allemande avec 130 000 autres alsaciens. Pour éviter la tentation de déserter, la grande majorité de ces soldats « malgré-nous » fut envoyé sur les fronts de l’Est. Et mon père, retourna chez lui, dans son Alsace natale à la fin de la guerre, après un périple à pieds, de la Sibérie à Mulhouse.

Et quand il arriva, son pays était redevenu français.

Il date de cette époque-là quelques documents que je conserve précieusement.
Un formulaire qui atteste que le soldat…. bénéficie d’une permission pour aller chercher ses enfants.
Un autre qui atteste la gratuité d’un voyage en train.
Mais il y a une petite feuille de papier à première vue très anodine.
Chaque fois que je la regarde je sens mon cœur qui se serre.

Elle s’intitule :

FEUILLE DE REINTEGRATION

Les alsaciens disent « Franzosazetala »

Elle stipule que monsieur …… est réintégré dans sa nationalité. Mais laquelle ?

Français par adoption ?

Français par droit ?
Français par choix ?
Français par obligation ?
Français par conviction ?

Mais du moment que vous payez vos impôts…