Noël alsacien

A chacun de fêter Noël à sa façon.
Chez nous, en Alsace, Noël est certainement la fête la plus importante de toute l'année.
Il y a les marchés de Noël, les crèches dans les églises, les vendeurs de sapins et les villes qui s'habillent de lumière.
Moi, je veux vous raconter ma façon de fêter Noël, celle qui me rappelle mon enfance, celle que j'essaie de transmettre, de la même façon que j'essaie de transmettre notre dialecte qui nous confère notre identité.

 

 

Dès que l’on parle de Noël, les Alsaciens sont partagés. On a d’un côté les nostalgiques et de l’autre les modernistes.
Les « Friàher » (les autrefois) contre les « Hetta » les aujourd’hui.

Chacun défend sa paroisse, mais tout le monde tombe d’accord pour considérer que Noël, «d’Wienachta »   est la fête la plus importante du calendrier.
 

A Noël, on réunit la famille. Pour Noël, on met les petits plats dans les grands.
« Fer d’Wienachta  gunscht d’r ebbis » 
Pour Noël on se paie une folie.

Il y en a même qui « lossa der Làbi los » «  disons dans le langage actuel, ceux qui s’éclatent un bon coup, mais toujours avec la ferveur de circonstance.
Les Alsaciens ont tellement conscience de l’importance de Noël qu’ils ont réussi un tour de force unique : rendre le temps élastique.

Suivez-moi : il est impossible en théorie de ralentir ou d’accélérer le temps. D’r Guschti vous dira : 

« A Viertelstund met d’m a schehna Maïdla un à Viertelstund bim Dentiste esch immer nur fufzehm Minuta»

Un quart d’heure avec une belle fille et un quart d’heure chez le dentiste, ce ne sont en réalité que quinze minutes.

Alors vu que le temps est incompressible, il n’y a qu’à le prolonger des deux côtés.

Vers l’avant en se réjouissant ; vers l’arrière en évoquant les souvenirs : « waïsh noch » tu te rappelles !

Et c’est ainsi que Noël commence immédiatement après Saint Nicolas.

Noël : la fête de la lumière.
Tout le monde est d’accord sur ce point là ; mais Noël c’est également la fête des odeurs.
Cela commence avec l‘odeur des « Bredla » les petits biscuits que l’on prépare. Et c’est tout une histoire que ces « Bredala .»
On prépare une pâte aussi fine que possible. Certains en prélèvent une partie pour la colorer avec un bon coup de cacao. Alors, on étale la pâte « met d’m Wàlholz » avec le rouleau à pâtisserie et l’on découpe qui des étoiles, qui des lunes, des sapins aussi. Il n’y a pas de limite à la fantaisie car chaque épouse  possède son petit carnet de recettes léguées par les ancêtres.
En fabriquant ses « Bredla », c’est un coup de chapeau que l’on donne aux générations passées.

La tentation de déguster les « Bredla » est grande. On aimerait les goûter les uns après les autres, mais c’est dans une boîte en fer-blanc qu’ils vont attendre sagement.

« Sa wara besser wenn sa a betzi elter send »
Ils sont meilleurs en vieillissant un peu.

Je n’ai jamais cru cette affirmation et je me faisais un devoir de contrôler régulièrement la progression de la maturation.  Cela bien sûr jusqu’au jour où ma mère s’en apercevait.

Après l’odeur des « Bredla », voici celle du sapin : une odeur puissante car le sapin, on allait le chercher directement dans la forêt, du moins quand le village possédait un bois.

Décorer le sapin est encore tout une histoire. Je me souviens  du Henri qui fabriquait des étoiles avec la paille qu’il avait ramassée juste avant les moissons. Il avait de la patience cet homme-là et il s’arrangeait pour de jamais faire deux étoiles semblables.

eoile-de-paille

Etoile du père Henri

Fabriquer les décors de Noël était chose courante. On emballait des noix dans du papier argenté récupéré sur les tablettes de chocolat. On peignait des glands avec de la couleur dorée ; il y en a même qui suspendaient à leur sapin des jouets miniatures réalisés avec la scie à découper le contre plaqué. Mais le plus important, c’est le « Schpitz » la pointe ; celle qui trône tout en haut.

« Friaher » (naguère) on n’avait pas de boules : c’est carrément des oranges et des pommes bien rouges (les pommes de la Saint Nicolas) que l’on suspendait aux branches et pas n’importe où. Non, les boules servaient à lester les branches afin de pouvoir y fixer bien droit les bougies, de vraies bougies traditionnellement rouges.

Les partisans du « Hetta » – de modernité – vous diront que les bougies, c’est dangereux et qu’il vaut mieux mettre des guirlandes électriques. Je ne dis pas non ; il y eut certes de temps à autre un incendie, mais essayez voir de souffler une guirlande électrique !

Chez nous, les parents avaient trouvé un truc infaillible pour coucher les enfants. Un truc très simple : voilà, les gosses étaient chargés d’éteindre chaque soir les bougies. Comme récompense, ils avaient droit de déguster une friandise récupérée sur l’arbre.

Là, il faut que je vous dise que même si je suis plutôt du côté des nostalgiques, je dois admettre que l’apparition des petites bouteilles en chocolat contenant une gorgée de liqueur a certainement marqué un progrès décisif ! Depuis cette invention, on ne peut plus capitale, mon sapin porte autant de bouteilles en chocolat que de boules. Question de goût dans tous les sens du mot.

 

Chaque famille préparait donc son sapin. Et le sapin était le reflet de son propriétaire. Il y a les sapins multicolores avec une débauche de couleurs et il y a les sapins un peu plus humbles qui se contentaient de deux couleurs. Pour le mien, j’ai toujours choisi le rouge et le doré.

sapin
Le sapin dans son habit de lumière

Le sapin, c’est important. C’est comme si on ouvre la porte à un ami qui vient passer les fêtes avec vous. Mais le plus important, ce sont les cadeaux que l’on dépose au pied du sapin. Car en Alsace c’est bien à Noël que l’on offre les cadeaux aux enfants et pas pour les étrennes du jour de l’an. Encore une de ces inventions des « Franzosa » – des Français de l’intérieur.

Je ne me souviens pas de grand repas de Noël. Non chez moi, c’est à dire dans ma famille, le salon restait fermé jusqu’à 20 heures. Alors quand l’horloge avait égrainé ses huit coups, on ouvrait la porte du salon et les gosses étaient tout éblouis par les lumières. On chantait quelques chansons à l’ancienne. On chantait vraiment. On ne passait pas un quelconque disque et si d’aventure la famille comprenant un musicien, il sortait qui son accordéon qui son violon. Non pas de clairon : le clairon, cela fait trop militaire  voyons !

On chantait «  il est né le divin enfant » et l’on finissait presque immanquablement par entonner en chœur « Stille Nacht Heilige Nacht » le douce nuit sainte nuit en allemand qui prouve que même si la guerre  a laissé des marques profondes, le jour de Noël, on sait pardonner.

Après la découverte des cadeaux ponctuée d’exclamations de bonheur, maman servait un kouglof ou alors quelques « Mannala » des bonshommes en brioche. Un verre de vin chaud pour les adultes et un peu de cacao pour les enfants. Et, vers minuit, on prenait la direction de l’église pour assister à la messe que dis-je, aux trois messes de minuit. La messe se terminait en point d’orgue (si vous me permettez cette expression) quand « dr Maxi » Max, le mari de Juliette, chantait le « Minuit chrétien » du haut du balcon de l’église.

mannalas

Les "mannalas" bonshommes en brioche qui trônent dans la vitrine du boulanger depuis la Saint Nicolas.

Je me suis souvent demandé qui pouvait bien prévenir Saint Pierre, qui dit-on, est chargé de la météorologie, car je me souviens que les premiers flocons de neige prenaient un malin plaisir à tomber quand nous étions sur le chemin du retour. Et c’est fatigués mais heureux que nous allions vite nous  cacher sous nos draps, les pieds bien au chaud sur une bouillotte pendant que des fleurs de  givre s’épanouissaient sur les fenêtres.

Les festivités reprenaient le lendemain. C’est le jour où l’on recevait la famille. Alors, après l’apéritif d’usage – le Suze citron ou le guignolet kirsch – on dégustait le pot au feu ses «  saladlas », suivi d’une bouchée à la reine avec des quenelles et de ris de veau, avant d’attaquer de pied ferme la « Suppahuan » – la poule et sa garniture.

Pas de fromage à l ‘époque, car il fallait laisser de la place pour la bûche ou alors extrême luxe, la torche aux marrons ou le « nègre en chemise ».
Je me souviendrai toujours de ce nègre en chemise, savant mélange de purée de marrons cuits et épluchés deux fois, et de chocolat noir le tout moulé dans un récipient ventru.

La chemise : ce n’était que de la crème Chantilly savamment déposée à la poche à douille.

N’oubliez pas le café et le « Schnaps » les alcools blancs. A l’époque, on n’avait pas encore inventé les alcotests.

Mais ce n’est pas fini, car les Alsaciens ont le privilège de fêter le 26 décembre la Saint Etienne, jour férié qui fait bien des jaloux du côté des Français.
Alors soit on rendait visite aux membres de la famille que l’on n’avait pas encore revu … depuis la veille ou alors, on mangeait les restes. J’ai le souvenir de langue de bœuf fumée avec sa salade de pommes de terre ou alors une simple palette de porc fumée (faut savoir rester simple non ?)

 

Voilà, à l’époque Noël n’avait pas encore cette odeur d’argent, cette couleur de paillette, ces sons de CD numériques. On ne rêvait pas de caviar et de saumon fumé, et je pense que l’on était tout au moins aussi heureux que maintenant.

Mais il me plait à évoquer une histoire qui est bien incrustée dans ma mémoire. C’est l’histoire que racontait mon père.

C’est l’histoire d’un Noël de la dernière guerre quand, au-delà, des ordres de l’état major, au-delà des rancœurs et des vengeances, le soir de Noël des deux côtés de la frontière, là-bas dans les tranchées, les soldats avaient déposé leurs armes et avaient entonné un "Douce nuit Sainte Nuit" auquel avait répondu un « Stille Nacht Heilige Nacht » chanté par des soldats qui pour l’espace d ‘un instant étaient redevenus des hommes.

Le miracle de Noël diront certains.

 

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