Louise et la galette des rois.

La Louise, « s’Louise » comme on dit chez nous, était l’aînée d’une famille de seize enfants. Une famille si nombreuse était chose tout à fait courante autrefois.
On peut toujours essayer de comprendre le pourquoi de la chose.

Les esprits chagrins disent que si les parents étaient tellement prolifiques, c’est tout simplement parce que l’on n’avait pas encore inventé la télévision. A bien considérer, l’argument peut sembler valable, car  si l’on regarde bien sous l’optique d’aujourd’hui, on peut affirmer sans risque de se tromper, que le samedi soir, certaines chaînes proposent des films (pour lesquels je vous laisse le soin de trouver un qualificatif) tellement explicites que les gens sont passés de la position d’acteurs à celle de spectateurs, ce qui en clair veut dire que l’on se contente de regarder, mais que l’on ne pratique plus ! Dans le temps on pratiquait disent certains avec un soupir de regret.

Tenez-vous le pour dit !

Mais l’argument le plus solide repose quand même sur une donnée sociologique. Dites-vous bien qu’avant l’invention de la retraite des vieux, il fallait bien assurer ses vieux jours. Et dans ce cas, vaut mieux prévoir large. Prenez le cas d’une famille avec un fils unique. Je ne sais pas moi, disons que le fils tourne mal. Il se brouille avec ses parents ; et bien la retraite vous passe sous le nez.

Il est donc prudent de diversifier les risques et d’avoir tout naturellement de nombreux enfants.

Faut vous dire aussi que sur les seize enfants, il y a tout un mic-mac : des enfants morts en bas âge, des fausses couches, des adoptions aussi. C’était justement le cas de l’aînée ; s’Louise était une enfant abandonnée et adoptée.

Le père avait dit :

Do wu Platz esch fer zwelfa esch oï Platz ver ein’s mer.

Là, où il y a de la place pour douze, il y a aussi de la place pour une de plus.

 

Le raisonnement avait conduit les parents à devoir se serrer un peu plus dans la petite maison qu’ils louaient car le chef de famille n’était en réalité qu’un simple casseur de cailloux dans une carrière. Mais il bénéficiait d’une certaine notoriété car, à ses moments perdus, il s’adonnait en amateur, à l’horlogerie.
Pas une horloge du village qui ne soit passée un jour ou l’autre, dans ses mains.

Et il disait avec un petit sourire

" Er mach Zitt"
C'est moi qui fais  le temps !

Comme dit, s’Louise » était donc une fille adoptive. On l’avait embauchée de bon cœur avec l’idée qu’étant la plus âgée, il était normal qu’elle seconde la maîtresse de maison. Il lui incombait donc d’aller chercher, chaque jour le lait à la ferme. Elle partait donc avec son « Canala » son pot au lait en aluminium et un petit saladier dans lequel elle rapportait « d’Laufeda » disons les coulures des fromages trop faits. C’est une histoire vraie que je vous raconte. Elle s’est passée à Munster, le patelin qui a donné son nom à un fromage et qui compte deux églises.

Il faut d’ailleurs que je vous explique le coup des deux églises.

L’Alsace a toujours été une terre de passage, une terre d’accueil et par là-même une terre de tolérance.
En Alsace, on reconnaît la religion des gens à la couleur des tabliers des femmes et à celle de leur maison. Alors quand un village comporte des catholiques et des protestants, et bien l’on construit deux églises. C’est le cas de Munster. Un peu plus loin, il y a un autre village qui faute de moyens, ne pouvait se payer qu’une seule église. Qu’à cela ne tienne : l’unique église est protestante de huit heures à dix heures et devient catholique de dix  heures à midi. Question de décors, c’est tout. !

D’ailleurs, cette histoire d’église va me permettre de continuer à vous raconter l’histoire de Louise car, un jour qu’elle s’ennuyait à garder le dernier né, Louise était grimpée jusqu’à l’étage supérieur du clocher  de l’église qui s’ouvre sur une immense fenêtre en forme de hublot : un œil de bœuf. Elle voulait montrer le paysage au bébé.
Quand les gens du village aperçurent Louise et le bébé perchés si haut, ils filèrent prévenir la maman qui travaillait à la filature.

Ce n’est d’ailleurs qu’une péripétie parmi bien d’autres, car Louise était hardie et n’avait peur de rien.
A vingt ans, elle dansait sur les tables des bistrots et c’est justement dans une auberge, qu’elle fit la connaissance de son mari : je veux parler du premier.

Il était musicien et tourna la tête de Louise en un rien de temps

C’est ainsi que Louise échappa au cercle familial par trop étouffant. Les amours furent violentes et douloureuses car le mari était un sacré charmeur. La relation finit un jour, par un bon coup de guitare sur la tête, car Louise était d’une jalousie féroce et comme son mari était le chouchou de ces dames, elle le réveilla en saisissant la guitare et en l’utilisant comme une massue. Qui sait ? peut-être un héritage d’un geste né à l ‘époque de l’homme des cavernes.

Se retrouvant seule et sans aucune formation, Louise émigra à en ville et entra comme bonne à tout faire au service d’une famille de bourgeois. C’est de cette époque-là, que date son admiration pour les bonnes manières…. qui l'a marquée pour le restant de sa vie.

 

Un peu plus tard, Louise pensa à refaire sa vie.
Elle rencontra un brave homme, ouvrier paysan, père de trois garçons, et comme justement Louise ne pouvait enfanter, elle prit le tout en une seule fois, le père et ses enfants. Prix de gros si j’ose dire. Mais le pauvre homme, d’r Uschen (Eugène) de notre histoire en bava toute sa vie. Le leitmotiv :

"Besch à Bür und blitsch  a Bür ! "

Tu es un paysan et tu resteras un paysan !

 

Alors, le couple vécu une vie de solitude partagée chacun avec ses rêves. L’une rêvait à des cérémonies façon gens bien, l’autre ne connut la paix que le jour où il commença à élever des lapins dans son garage.
Histoire d’ambition évidemment.

 

On ne peut arrêter l’évolution, alors, un jour, le boulanger du village décida de fabriquer la première galette des rois. Louise qui avait vu ses ex-patrons déguster pareille friandise, se précipita et emporta avec beaucoup de précautions la fameuse galette. Ce fut toute une cérémonie quand elle posa la galette sur la table. D’r Uschen dû se laver les mains deux fois de suite et montrer que ses ongles étaient bien propres pour être admis à la table.

Louise découpa la galette en faisant des manières.

Chacun mangea de bon appétit, car une galette, revue et corrigée par un boulanger alsacien, possède un côté nourrissant, je vous l’assure. Ce n’était pas une galette de régime ; ô que non !

Louise mangea le petit doigt en l’air et… tomba sur la fève.
Et quand je dis qu’elle tomba sur la fève, je veux dire qu’elle y mordit franchement, au point d’y casser une dent.

 

Mais attendez-la suite…

Louise n’ayant jamais été invitée par ses patrons à déguster la galette (le personnel reste dans la cuisine quand même), ne connaissait pas du tout le coup de la fève.

 

Je vous ai dit que c’était une femme de tête, ce qui veut dire qu’elle ne fit pas de détail et fonça la tête en avant chez le boulanger

 

"Wass esch dass fer a soïrei ? Kennta velert achtung ga as em mahl kei Drack esch !"

C’est quoi cette saleté ! Pourriez peut-être faire attention à ne pas mettre des détritus dans votre farine !

 

Aux dernières nouvelles, quelques années après, le boulanger est toujours bouche bée !

 

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