Là-bas, dans la cave…

"Tu ne crois pas qu’il serait temps de ranger la cave ?"

Pour ne rien vous cacher, je m’y attendais. Cela fait un moment que la cave est devenue l’endroit où l’on range tout ce que l’on ne peut pas ranger autre part.

Je crois aussi qu’il existe des hommes de greniers et des hommes de caves. 
Les premiers adorent monter sous les combles pour découvrir les trésors cachés dans de vieilles malles.
Les autres, dont je fais partie, trouvent leur bonheur à bricoler dans leur cave.
Alors ils suspendent leurs outils aux murs, installent des étagères pour y ranger leurs boîtes de clous et de vis et, s’ils ont de la chance, ils s’arrangent pour trouver un vieil établi avec un étau : comble d’un bonheur pourtant simple.

L’homme des caves ne jette rien. Pas le moindre morceau de bois, pas le plus petit manche à balai. Tout peut servi,r et je ne sais si vous avez fait la même expérience que moi, il suffit que je jette une chose qui me paraît devenue inutile pour que, même pas une semaine plus tard, j’aurais pu en avoir l’usage.

L’homme des caves est un homme heureux.
Il enfile son bleu de travail et, quand il remonte quelques heures plus tard, ses mains sont tachées, ses cheveux portent parfois quelques copeaux de bois ; mais il a le cœur serein.

 

Certains vous feront remarquer qu’il est parfois plus rentable d’acheter une nouvelle pièce : sacrilège, quand on se prive du bonheur de réparer avec ses propres mains, quand on passe une soirée à chercher le petit truc qui peut servir à réparer ce qui ne vaut peut-être même pas la peine d’être réparé.

Mais il n’est pas question d’argent ; il est question de cœur, de bonheur. 
Ne vous trompez pas.

Si vous avez compris cela, alors je vous invite à descendre dans la cave, dans ma caverne d’Ali Baba.

Tout d’abord, excusez le bric à brac, un désordre apparent dont je suis bien le seul à savoir retrouver ce que l’on cherche.

Ma cave, c’est mon domaine.
Je suis le roi de ma cave.

Et si vous savez tendre l‘oreille et ouvrir les yeux, ma cave vous racontera tout bas, l’histoire de tous ceux qui ont contribué à son amoncellement.

Un papa plombier, un grand père horloger, un tonton électricien, un autre peintre en bâtiments et moi, le seul garçon de la famille, celui à qui  l’on a tout voulu transmettre, celui qui devait tout savoir.

Que de secrets murmurés !
Que de gestes corrigés jusqu’à la perfection et cette maxime qui résonne encore dans mes oreilles :

« Quand tu fais quelque chose, fais-le bien, ou laisse tomber »

 

A l’époque, les maîtres, les vrais, ceux qui détenaient le savoir ne s’encombraient pas de vocabulaire inutile. On ne "traumatisait" pas les enfants parce qu‘on les obligeait à bien travailler. C’est le métier qui entrait et parfois de force.

 

J’ai passé des soirées entières dans ma cave.
J’ai passé des week-ends sans me soucier de la météo. 
Quand je remontais, j’étais fatigué, fatigué, mais heureux.

 

Et puis un jour, la vie s’est mis à dérailler.L’arthrose s’est  emparée de mes mains. Ma vue a commencé à baisser : tout ce que la vie invente pour devenir pénible…..

Alors un jour, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Une maison ; c’est bien quand on est jeune, quand on a la force de l’entretenir. Avec l’âge, il faut savoir composer, « faire avec » comme on dit par chez nous ?

La maison sera vendue. J’irai habiter en appartement.

 

La décision n’est pas difficile à prendre.
Elle s’impose d’elle-même.
C’est le bon sens tout simplement.

Un déménagement, ce n’est rien : sauf qu’il faut savoir se séparer de pas mal de choses. De tout ce qui ne trouvera plus de place. De tout ce qui ne servira plus.

Je donnerai donc ma tondeuse à gazon. Je laisserai mon système d’arrosage. Plus besoin non plus des outils de jardins mais, voyez-vous, ce qui pose un vrai problème, ce sont les tous les autres outils, ceux qui à force de travail se sont déformés à ma main, et ceux qui ont déformé mes mains. C’est un peu tout cela qu’il faut abandonner.

Alors l’autre jour, je suis descendu à la cave avec un ami. Je lui ai montré mes outils.
J’ai ouvert la mallette avec laquelle j’avais fait mon tour de France.
Il y avait là, les outils qui m’ont accompagné tout au long de ma vie….

Des outils plein d’histoires, pleins de souvenirs aussi.

Je lui ai dit :

Je ne te donne pas ma mallette, je te la confie ?
Je te la confie comme on confie un jalon et la seule chose que je te demande c’est qu’un jour, à ton tour, tu la confieras à celui qui continuera le métier.

Je ne vous cache pas que les larmes coulaient mais je crois que c’était vraiment la seule solution.

Qui sait, pour une fois le cœur et la raison sont allés dans le même sens.

 

 

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