Ensorcelés

Ensorcelés.

 

Du simple instituteur, à Monsieur l’Inspecteur,
Du simple cheminot, à Monsieur le Chef de gare,
Du simple facteur à Monsieur le Receveur,
Du simple curé à Monseigneur……

Décidément la France est le pays de la hiérarchie.
Sans hiérarchie pas de pouvoir.
Sans pouvoir : la chienlit !
C’est le Grand Charles qui le dit.

Et la hiérarchie a un seul sens, comme la pluie, c’est du haut vers le bas. Alors, pour se mettre à l’abri, d’aucun ont inventé le parapluie administratif. La tête reste au sec, c’est les pieds qui trinquent si j’ose dire.

D’où me vient donc cette soudaine envie de parler de hiérarchie ? Je vais vous le dire : c’est à cause de ma poubelle.

Figurez-vous que chez nous les éboueurs sont matinaux et n’hésitent pas à vous tirer de votre lit avec leur tintamarre. Si vous voulez que votre poubelle soit dûment vidée, il vous faut donc la sortir la veille.

Alors le matin, ce matin donc, dans un double geste, j’ai rentré la poubelle et sorti mon chien. Ce faisant je suis tombé nez à nez avec le balayeur de service. Faut vous dire que l’homme, armé  d’un balai fourni par la municipalité, s’attaque à une tâche très difficile. Il essaie désespérément de ramasser les feuilles mortes. Les feuilles, elles voudraient bien : pensez donc passer la nuit dans le froid, vous n’y pensez pas ! Mais c’est le vent qui ne veut pas. Alors, quand l’homme a assemblé les feuilles en un petit tas, un grand coup de vent. Le travail est à refaire.

Sisyphe des temps modernes, version citadine je vous l’accorde.

Balai contre souffle du vent : les choses pourraient durer longtemps. Est-ce là, une forme d’éternité ?

Mais les choses tournèrent court car le Chef arriva.

Le Chef des balayeurs bien sûr, un Chef que la municipalité avait motorisé pour les permettre plus aisément de contrôler ses subordonnés.

Il arriva donc juché sur un triporteur à l’ancienne, sorte de Vespa, savamment modifiée par un fonctionnaire, que dis-je par un ingénieur suffisamment inspiré.

On avait monté à l’avant de l’engin une espèce de petite benne de forme carrée, destinée à recevoir en plus des feuilles mortes, quelques bouteilles de bière, véritable carburant.

Il y avait aussi un guidon avec une sacoche dans laquelle le Chef transporte son casse-croûte. Sous la selle, une autre sacoche qui abrite un rouleau de sacs plastiques qui permet d’alimenter les distributeurs de paquets pour déjections animales.

L’engin semblait pratique, économique, sans odeur et presque sans bruit. L’ingénieur allait donc pouvoir espérer la médaille qui récompense le travail bien pensé.

Et bien non ! Il avait tout simplement oublié qu’un balayeur même Chef de son état, a besoin d’un balai. Non pas pour balayer, vous n’y pensez pas, mais pour l’exemple : question d’insigne de travail ou de dignité.

Alors, la France étant le pays des bonnes idées, le balayeur Chef avait donc rangé son balai sous la selle, le manche du côté du guidon.

Je ne pus m’empêcher de rire, car vu de côté, Monsieur le balayeur Chef, que l’on me pardonne d’avance cet outrage à sa dignité, Monsieur le balayeur Chef avait un air d’une sorcière à califourchon sur son balai.

Et voilà, maintenant le mal est fait. L’image s’est ancrée dans mon esprit tortueux.

Désormais, toute idée de hiérarchie me renvoie à l’image d’une sorcière.

Quand je vous disais que nous sommes ensorcelés !

 

Tous ensorcelés !
Tous ensorcelés !