ELISE.

Comment ! Vous ne connaissez pas Élise !
Ce n’est pas possible.
Alors, prenez vite un siège. Asseyez-vous à côté de moi. Fermez les yeux pour voir mieux les images que je vais évoquer.

Avec ses presque soixante dix ans, Élise pourrait être grande mère si elle avait eu des enfants. Elle avait tout pour être mère, à commencer par un cœur gros comme ça, un cœur qui aurait su aimer, comprendre. Un cœur pour dessiner les sourires et calmer les chagrins.

Mais la nature en décida autrement. Élise fut une épouse fidèle et, à chaque rencontre, elle me parle de son cher Marcel. Ils ont vécu l’un à côté de l’autre, l’un avec l’autre, la main dans la main, le cœur dans le codeur.

Et maintenant que Marcel est parti, Élise reste seule avec ses souvenirs. Des souvenirs, elle en a beaucoup et ne se lasse pas de les raconter. Cela fait dix fois qu’elle relate la même scène et moi, je ne me lasse pas d’écouter.

Élise a toujours travaillé, à l’usine comme à la maison. Et quand la maison devient soudain trop grande Élise,  s’est installée dans un appartement.

Elle vit d’une petite rente. Oh ! juste assez pour être obligée de compter. Ses bonheurs sont simples et quand elle vous offre un cadeau, c’est tout son cœur qu’elle a mis dans le petit paquet.

 

Comment donc, vous ne connaissez toujours pas Élise ?

Ouvrez vos yeux bien grands et regardez autour de vous.
Cette petite femme qui va au marché avec son panier : c’est Élise.
Cette autre qui lance des miettes aux pigeons : c’est Élise aussi.
Cette fée qui range nuitamment votre bureau : encore une Élise.

Alors, quand les Élise se rencontrent, elles parlent de leur vie, elles surveillent les prix et dans le journal, elles lisent en premier la page qui annonce les « Élise » qui se sont envolées.

Elles avancent à petits pas, sur la pointe des pieds donnant l’impression de s’excuser ; “ je ne fais que passer, excusez-moi de vous déranger.”

 

Le Gouvernement a décidé de faire des économies.
Il y va de la santé financière de tout le pays.

Un ministre décide.
Un fonctionnaire rédige.

Un cachet tombe sur un papier.
Cette année, les retraites ne seront pas augmentées.

C’est Élise que l’on vient de tuer.

 

Elise-Falconi