Des mots et du vocabulaire

Il est bon, de temps en temps, de se poser de « bonnes questions ».
Par définition, une bonne question est celle qui, comme le disait un humoriste, fait avancer le Schmielblick ».

Des gens qui parlent pour ne rien dire…
Des gens qui parlent pour le plaisir de s’entendre parler…
Pour meubler… pour se faire remarquer…
Pour passer pour ce qu’ils ne sont pas…

Il y en a plein les rues, plein les journaux, plein la télévision.

Il existe même de gens qui en vivent parce qu’ils en ont fait leur métier…
Notre civilisation est caractérisée par un bruit de fond constant :
bla… bla… bla…

Moi, mais ce n’est que moi qui parle, je tiens à le préciser, je préfère les taciturnes, ceux qui savent se contenter du moins de mots possibles.
Diluer une sauce (et là, c’est le cuisinier qui parle) n’a jamais amélioré son goût.

Et pan !
Cela ne sert peut-être à rien, mais cela fait du bien !

Au fait, c’est quoi  le vocabulaire ?

 – Moi, Monsieur, je parle français !
– Excusez-moi, quel français ?

  Celui du juriste qui « attendus que… » ?
   Ou alors celui  du médecin qui « latinise »
   A moins que nous ne préféreriez celui du boulanger qui surveille le pointage, le ressuyage, la pousse…

   Ou alors celui du couvreur qui s’occupe de votre chien sis ?

Ah bon ! Vous prétendez parler français, mais quel français ?
Il en existe plein !

Vous parlez peut être du « français en général », celui de l’homme de la rue qui veut acheter du pain :
une flûte, un bâtard, une baguette à moins que vous ne vouliez une miche…
Voilà que cela recommence.

Affirmer parler français cela fait prétentieux.
Vous ne trouvez pas ?

D’ailleurs, j’aimerais poser une autre « bonne question ».

Dites-moi, pourquoi on parle ?

Pour se faire comprendre pardi !
Pour entrer en communication avec l’Autre.
Pour échanger des informations.
Pour poser des questions.

De bonnes questions, j’espère !

L’Homme est un animal social.
Il existe certes des hommes qui ont l’illusion de pouvoir se débrouiller tout seuls ; passons…
Pour le « commun des mortels », l’Autre est une composante indispensable.
C’est Roger Garaudy qui a utilisé cette belle expression :
« Cet Autre qui me constitue ».

Excusez-moi de pasticher :

On dit que ma liberté s’arrête là où commence celle de l’Autre ?

Gardons la même idée, mais allons juste un peu plus loin,

« Je » commence là où s’arrête  le « tu »
mon corps a ses limites,
mon esprit a ses limites,
toute mon identité a des limites.

Et, à bien prendre les choses, toute l’humanité n’est en réalité qu’une juxtaposition d’individualités avant d’être un groupe uni par des dénominateurs communs.

La preuve est  tristement journalière.
Chaque fois que les intérêts particuliers sont en jeu, l’homme perd son "H " majuscule. Il redevient homme avec un "H" minuscule.
Je propose donc de réformer l’orthographe
On devrait d’ailleurs écrire (h)individu.
Vous ne croyez pas ?

Vivre : c’est entretenir des relations avec l’Autre.
Les interactions se situent sur tous les plans, collectifs et individuels.

Cela se conçoit aisément  quand on considère par exemple la notion de force. Si un homme ne peut soulever un objet, il demande l’aide d’un autre.
La mise en commun des forces permet, in fine, de faire comme si la masse de l’objet était divisée.

Il en va de même dans bien d’autres domaines qui n’ont apparemment pas de point commun avec la force physique.

L’union fait la force : est une expression qui applique le principe précédent.

Un homme politique me disait l’autre jour :

« Si les gens se rendaient compte de leur force commune, cela fait longtemps que nous aurions été balayés. »

Le tour de force consiste justement à faire croire aux gens que de savoir parler d’un sujet, c’est le dominer, donc d’être compétents.

Que de compétences purement verbales.

Petite histoire vraie.

Pendant mes années d’internat, il nous est arrivé d’avoir envie de fêter carnaval. Nous sommes donc allés demander au directeur, une autorisation en bonne et due forme.

Ce directeur-là était pour le moins, « spécial ».
Une intelligence supérieure comme le prouvaient les rares cours qu’il nous faisait. Mais un caractère retord ,comme le démontraient ses actions journalières.
La réponse fut étonnante :
« Je veux bien que vous fêtiez carnaval, mais je vous préviens, si je trouve un seul confetti, je sévis. »

Nous avons donc fêté carnaval et c’est avec un grand plaisir que le directeur a sévi.
La « punition » consistait en une dissertation 16 pages minimum.
Sujet : de l’esprit de conservation chez le confetti.

Nous avons donc planché et quand je dis planché, c’est scié, raboté, poncé, lustré, à qui mieux-mieux.

Vint le jour du dernier acte : la présentation publique , promotion entière dûment habillée de nos tabliers réglementaires, Directeur, Econome et même le jardinier chargé du chauffage des locaux et des premiers soins aux blessés. Le gratin !

Selon l’expression consacrée, nous en avons entendues, des vertes et des pas mûres, chaque contrevenant y allait de bon cœur.
Je ne me souviens plus précisément de mon argumentation. Il m’en reste quelques vagues souvenirs qui me conduisirent à prouver l’immortalité du confetti conséquence inéluctable de l’invention de la bombe atomique et la certitude de l’appartenance des normaliens à l’élite mondiale.

Quant au directeur, surnommé indélicatement « le panse » en vertu de sa silhouette ventripotente, il passa à n’en douter, une très agréable soirée.

« Sachez Messieurs, qu’un honnête homme doit savoir parler de tout et de rien. »

Parler oui !
Se faire comprendre.
Se confronter aux opinions différentes des siennes.
Savoir défendre son point de vue…
et surtout :

Savoir choisir ses mots,
Savoir les faire défiler dans le bon ordre, à la bonne vitesse.
Savoir aussi observer son auditoire et adapter les mots que l’on choisit.

Et puis ne l’oublions pas, «  parler » et « parole » ont la même racine.
Parler : c’est utiliser des mots et ces mots ont un sens.
Parler : c’est être fidèle au sens des mots.
Parler : ce n’est pas trahir les paroles.

Ah oui, à quand le jour où les hommes qui parlent seront des hommes de parole ?