CARNAVAL DE DUNKERQUE, MALO LES BAINS …

 

Là-haut, dans le Nord, dans les Hauts de France comme on dit maintenant, il y a la plaine maritime, une grande étendue de terres qui longent la Mer du Nord et vous conduisent jusqu’aux Pays Bas en passant par la côte de la Belgique.
C’est le Plat Pays que chante le grand Jacques.

Quand vous entrez dans la plaine maritime, les altitudes commencent à flirter avec le zéro. Il y a même des terres qui  « plafonnent » à moins 50 centimètres. Vertige assuré !
Ces terres-là sont souvent des polders, gagnés sur la mer.
Dans les « Moeres », la terre est particulièrement noire et riche et les paysans sont fiers de leurs pommes de terre rouges.

Dans la plaine maritime, on cultive un peu de tout : peu de blé, il est vrai, mais des betteraves à sucre, des pommes de terre en quantité, et du lin qui vous transforme d’un coup de baguette magique, une terre en un océan bleu ondulant sous la caresse du vent.
Et du vent, il n’en manque pas.
Du côté de Malo les bains, quand le vent ne souffle qu’à 50 km/H, on trouve cela tout à fait acceptable.

La vie est rude dans ces pays-là.
Les gens le sont tout autant, mais je dois l’avouer quand on vous serre la main, on ne fait pas semblant. C’est le cœur que l’on vous tend en prime.

La vie ne m’avait pas demandé mon avis quand j’ai débarqué dans le Nord alors, en vertu de la loi de l’écho, j’ai tendu mon cœur et d’autres se sont ouverts pour m’accueillir.

Je suis arrivé avec mes traditions, mes illusions aussi.
Le grand vent du large m’a rapidement appris à m’adapter.
Quand il faut beau à Dunkerque, tu laisses tout tomber pour en profiter. Tu ne sais jamais si dans l’heure qui suit, le temps ne va pas changer.

Une vie rude avec des métiers tout aussi rudes.

Il y a un peu plus d’un siècle, Dunkerque n’était qu’une ville dans un marécage du bord de la mer. « Les gens bien » n’habitaient pas Dunkerque, mais Bergues, une petite cité fortifiée par Vauban, là-bas au bout d’un canal par lequel on accède à la mer.

Dans la région, quand on ne possède pas de terres, on devient marin, de père en fils, surtout si le père a  la chance de vivre assez longtemps pour pouvoir avoir des enfants.

 

Les marins partaient à la grande pêche sur les bans de Terre Neuve pour pêcher le cabillaud, afin disons la morue, car c’est du pareil au même, seule la taille du poisson change.

« Terre Neuve » : ce n’est pas la porte à côté.
On partait pour de vrai, pour quelques mois et l’on chargeait sur les grands bateaux les « doris » barque pour 2 personnes.
Arrivé sur place, on mettait les « doris » à la mer et les hommes allaient à la pêche. Ils revenaient vider leur pêche pour repartir. Tout cela à la rame, dans le vent et le brouillard.
Retrouver le grand bateau dans le brouillard, c’est parfois recherchre une aiguille dans un botte de foin.
Le métier était dangereux. Nombreux étaient ceux qui y laissaient leur peau.
Disparus en mer …

 

Et comme les hommes d’un même quartier embarquaient sur un même bateau, ils laissaient derrière eux une rue peuplée de veuves.

Partir à la pêche, c’était pile ou face. On revient ou l’on y reste.
Il fallait beaucoup de courage, beaucoup de confiance aussi.
Il fallait surtout engager un bon saleur.
Le saleur est l’un des personnages les plus importants sur le bateau.
De son habileté dépend la réussite d’une campagne de pêche.
Trop salés, les poissons ne se vendent que difficilement. Pas assez salés, ils pourrissent dans les cales !

Confiance dans leur capitaine aussi, car il y en a eu qui les cales presque pleines, encourageaient les hommes à y mettre un dernier coup et pendant que les doris étaient à la pêche, le capitaine levait l’ancre abandonnant les pêcheurs à un mort certaine.
Moins il y a de bénéficiaires, plus les parts sont grandes.

 

Le départ à la pêche était donc entouré d’espoirs et de craintes.
D’autant plus que pendant que les marins étaient partis, il fallait bien que la famille vive. Alors, on touchait donc en gros, en une fois, la moitié du salaire. L’autre moitié était versée à condition de revenir vivant.

Imaginez un instant…

– vous allez quitter votre famille pour plusieurs mois.
– vous savez que vous avez une chance sur deux de ne revenir vivant.
– vous venez de toucher la moitié de votre salaire annuel.

 

Vous faites quoi ?

La fête pardi !

Une ribouldingue à tout casser.
Une « méga teuf » diraient les jeunes de maintenant.

La fête du départ en pêche était telle qu’elle a laissé des traces jusque dans le droit local dunkerquois.
«  Il est impossible de faire constater l’adultère pendant les 3 glorieuses : les 3 jours de fête les plus importants.

 

Et c’était comment cette fête ?

Et bien les gens défilaient dans leurs habits de travail avec leurs outils de travail aussi. Le « figuemann  le fischermann » le pêcheur dans son ciré défilait avec sa canne à pêche de plusieurs mètres de long
Au bout de cette canne, il fixait un hareng bien puant que l’on allait passer sous les nez des passants. Surtout quand il s’agissait des « cale madame » : les petites bourgeoises de la ville de Bergues » qui se délectaient et s’encanaillaient à venir voir le bas peuple qui s’amuse.

Ces dames-là ont été, malgré-elles, à la base d’une tradition bien particulière. Suivez-moi.
A l’époque, il était de bon ton de garder une peau aussi blanche que possible. Seuls les pays et les marins étaient bronzés comme des sauvages.
Alors, on sortait même en hiver, bien à l’abri sous des ombrelles.

Un jour, un pêcheur, pour se moquer de ces dames, fixa une ombrelle, mais alors une toute petite ombrelle au bout de sa canne à pêche de 5 m de long. Juste pour se moquer.
Ne cherchez pas plus loin, vous avez trouvé l’origine des parapluies qui sont le signe distinctif du carnaval de Dunkerque.
Je crois que les fameux «  chapeaux » des carnavaleux dunkerquois ont peut être également la même origine.
Et c’est quelque chose ces chapeaux-là. Du fait main, Monsieur !

Les gens ne cachaient pas leur visage derrière un masque, enfin pas tous (nous y reviendrons) Ils se grimaient et puis l’on partait dans les rues, bras dessus, bras dessous pour rejoindre la bande.
T’as pas vu la bande ?
Quelle bande ?
Bien la bande des pêcheurs, la bande de copains !

On se dirige au son de la musique, fifres et tambours qui emmènent la bande.
En tête le « Co » dans son uniforme de tambour major.
Derrière lui, la foule qui grandit au fur et à mesure.
Et l’on avance, on pousse, on crie, on rit…
Parfois une rencontre.
Vous êtes interpelé par une personne au visage caché qui d’une voix bizarre vous rappelle quelques épisodes de votre passé : c’est l’intrigue !

Et l’on repart…

De temps en temps un arrêt brusque : « un tiens bon là-dessus ».
Alors la musique s’emballe, les premiers rangs s’arc-boutent ; derrière la foule pousse de toutes ses forces pour essayer de les renverser.
Un conseil : évitez de vous trouver entre la marteau et l’enclume.

Et le cortège repart dans une liberté totale, sans service d’ordre aucun. Parfois, on passe devant une maison aux portes et fenêtres ouvertes. C’est une «  chapelle ». On vous reçoit, on vous sert à boire, à volonté.

De rue en rue, de place en place, on finit par se retrouver sur la place devant la mairie.
A Malo les Bains, c’est la place Turenne qui devient le centre de la fête et l’on se met à tourner autour du kiosque de musique.
A Dunkerque, les élus jettent des harengs par les fenêtres de la mairie et l’on se précipite, on se bat pour devenir l’heureux possesseur d’un hareng.

 

Et puis vient le soir…Les paupières deviennent de plus en plus lourdes. On commence à rentrer chez soi.
Attention où vous posez vos pas…

Et puis les bruits deviennent plus étouffés.  Carnaval s’est réfugié dans les bistrots et vers le petit matin, commence à monter l’odeur de la soupe à l’oignon.

Je vous l’ai dit : je ne suis pas dunkerquois de naissance, mais dunkerquois de cœur.
J’ai souvent pesté contre les carnavaleux quand mon chien marchait sur des tessons de bouteille.
Je ne suis pas carnavaleux, mais quand résonnent les premières notes de musiques, je sens  monter en moi l’envie de me joindre à la foule.

 

*ce texte a été écrit en prenant comme point de départ de nombreuses interviews. Passionnant d’écouter les gens qui parlent de leur passion !
Alors, pour coller au plus près de ce que j’ai entendu, j’ai laissé le subjonctif et ses accents dans mon cartable pour vous raconter… comme si vous y étiez.

 

Illustrations photographiques © Jipé Brobeck
Carnaval de Malo les Bains

 

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