ANECDOTE : LE CONNAISSEUR

« Moi, on ne me la fait pas ! Je suis un connaisseur ! »

Il se dressait là, devant moi, de toute la hauteur de ses 1,62 m.
Il se dressait là, sur ses ergots, comme un coq de combat, prêt à sauter à la gorge de son adversaire.
Un combat ?
Une rixe ?
Non, tout simplement une discussion qui dérape ou alors qui sait : un verre de trop.
Ravages de l’alcool.

Et il remet ça.

« Moi, je suis un connaisseur. “
Alors quand on me refile du pâté de foie, en disant que c’est du foie gras, moi, on ne me la fait pas !
Celui qui doit me « baiser » n’est pas encore né. »

Au fait, il faut que je vous explique.

Lui, le fin connaisseur, est le mari de l’infirmière du bahut. Entendez par là, un lycée qui forme les cuisiniers de demain : des cuisiniers toute direction, ceux que l’on va retrouver dans les grands restaurants et ceux qui vont trimer dans le petit « bouiboui » le long des plages.

J’ai même un ancien élève qui a fini cuisinier à l’Elysée.
Faut l’avouer, cela m’a fait plaisir, mais de là à en tirer une quelconque fierté ?
Je pense que le gamin ne doit sa réussite, en premier lieu, qu’à lui-même, même si j’ai pu être celui qui a déclenché son envie de progresser.
Pour faire le pendant, j’en ai un autre qui a fini dans une baraque sur la grand-place de Brugge. Il « se tape » 300 poulets à rôtir par jour, par tous les temps.
Vaut mieux lui que moi.

J’étais donc professeur de cuisine dans le lycée dans lequel l’infirmière officiait.
Or cette infirmière, avait une fille qui devait passer sa communion. Et c’est ainsi que je fus invité au domicile du couple dont le mari se prétendait grand connaisseur.

Faut vous dire que j’aime particulièrement les gens qui parlent en bien d’eux-mêmes. Passe encore, quand on dit de quelqu’un que c’est un bon…. N’importe quoi.
L’essentiel, c’est d’être bon ou alors simplement honnête.

Honnête est le mot qui me plait.
Un plombier honnête fait le travail qu’on lui demande de faire sans chichi. De la « bel ouvrage » comme on disait dans certains milieux.

Un cuisinier honnête, c’est un gars qui fait les choses aussi bien que possible. Pas de cinéma inutile, ou alors juste ce qu’il faut.

Alors c’est quoi ce besoin de mise en garde ?

« Moi, je suis un connaisseur » cela peut signifier :
moi, je détecte toutes les combines qui sont plus ou moins honnêtes.
C’est partir du principe que l’autre va essayer de vous faire une entourloupette.

De quoi est–il question ?

De filet de bœuf Wellington !

C’était leur fantasme. A chacun, les siens.

Le filet de bœuf Wellington est un filet qui est passé rapidement au four, avant d’être enveloppé de pâte feuilletée et cuit dans le four.

C’est plus particulièrement de la préparation de l’enveloppe dont il est question.
Voilà, le filet de bœuf est rapidement cuit.
On dit vert-cuit.
Puis, il est enrobé d’une couche de champignons hachés appelée duxelles. (champignons hachés, échalotes, le tout évaporé)

On enrichit cette duxelles avec du foie gras, en tranches ou en morceaux, l’essentiel étant de récupérer le goût.
On enferme le filet et son enveloppe dans de la pâte feuilletée et l’on cuit le tout au four.

Résultats :

Un filet de bœuf bien rose, entouré de duxelles au goût de foie gras.

Voici donc le fameux foie gras qui est à l’origine des déclarations tonitruantes ci-dessus.

Pas de problème.
Le filet de bœuf Wellington, c’est faisable sans trop de problème sauf que « l’Autre » commence sérieusement à me courir sur le haricot.

J’aurais pu refuser poliment.
J’aurais pu faire le modeste et dire que je ne me sentais pas capable de réaliser un plat aussi élaboré.
J’aurais pu, mais je n’ai pas…

J’ai préféré comme on dit « prendre le taureau par les cornes ».
J’ai accepté de préparer le repas avec, je ne vous le cache pas, avec une petite idée de vengeance. Oui !

J’ai donc invité Monsieur le Connaisseur et Madame à venir tout d’abord, partager un repas chez moi.
Quand ils arrivèrent, je leur ai proposé un apéritif.

Le connaisseur s’enfila deux pastis bien serrés.
Ensuite, après avoir longuement prôné l’excellence d’un nouveau whisky importé (vous savez bien… clin d’œil complice), ils s’enfilèrent pas moins de deux whiskies qui anesthésièrent le peu de goût qu’ils avaient encore.

C’est là, que j’obtins la certitude d’avoir affaire à des fins palais.

Le jour du fameux repas arriva.
Le filet de bœuf Wellington alluma des lueurs dans les regards de toute l’assemblée.

Et, dans mes yeux brillait, non pas la satisfaction du devoir accompli, mais plutôt celle de la vengeance mitonnée avec soin et tendresse.

Que voulez-vous ?

Il faut rendre à César ce qui est à César,
et à Olida ce qui est à Olida .

Moi, je ne dis rien
Mais je ne pense pas moins.

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